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Moscou - Pékin - Istanbul : 8 pays, 25.000 km à travers l'Asie
26 juin 2016

En Sibérie

La Russie ! Ses magnifiques boules en forme de goutte, croix dessus, posées sur des tours ou tourelles octogonales ou rondes, ses paysages de champs perdus, une rivière passant juste à côté, un lac faisant office de miroir, une lumière rasante, glissant sans peine de Vladivostok jusqu'à l'Oural au fil du jour, quelques fois des nuages menaçants pour contrecarrer le tout, le rendre plus grave, avec en contrebas un village aux isbas colorées. Non, nous ne l'aurons pas vu sous cet angle si grandiloquent. Voyez pourtant ce que cela peut être.

MPI_Article Transsib_Image 1_Sibérie goutte à goutte

MPI_Article Transsib_Image 2_Sibérie panorama du matin

MPI_Article Transsib_Image 3_Sibérie du soir

Les crédits de ces clichés ne me reviennent pas, et ils sont issus d'une exposition gratuite vue à Moscou. Pour sûr je serai incapable d'en faire un seul. Si nous ne l'avons pas vu comme ça, la Sibérie, nous l'avons vue quand même, à notre façon, sans doute plus banale. Nous avons vécu le truc aussi, dans la durée, et il est impossible d'en détailler tous les aspects dans un article soucieux du lecteur, c'est à dire pas trop long. Il faut que le lecteur vienne ressentir tout cela par lui-même, car cette page n'a certainement pas vocation à lui mâcher le travail, qu'il se contente de lire, et puis après aller en parler aux copains comme s'il l'avait traversé, cette Sibérie.

Tout a donc commencé dans le quartier de la gare de Iaroslavskaïa, quand nous devons écumer les bistrots et les restos pour nous tenir éveillés jusqu'à l'heure du départ, un quart d'heure avant minuit, et sans trop zoner dehors, enfin le moins possible. L'ambiance autour de la gare est celle d'une gare : cours des miracle et superettes à bières, le tout faiblement éclairé. Ici, rajoutons quelques uniformes en tout genre, en service ou en transit, et quelques familles qui déménagent avec de grands sacs et des provisions pour les longues journées de train. Nous rejoignons un bar de l'autre côté de l'avenue que nous avions repéré la veille en allant récupérer nos billets au guichet, moment d'envol du quiproquo inter linguistique de ce que deux personnes qui parlent des langues différentes sans comprendre un traitre mot de l'autre peuvent offrir en spectacle à une foule qui attend depuis longtemps son tour.

MPI_Article Transsib_Image 4_Voie de départ

La gare de Iaroslavskaïa et ses alentours, veulent sans doute habituer le voyageur, de par son absence de protocole, à ce que sera la Russie dans à peine quelques heures. Le départ du transsibérien ressemble à celui d'un Corail pour Maubeuge en gare de Compiègne. Les voitures néanmoins abritent selon la classe, des cabines aux agencements différents. Nous avons opté, douillets comme nous sommes, pour la seconde classe, laissant les expériences de plastkarta (Плацкарта) à nos futures aventures chinoises. Le route est encore longue et des bus pourris, on en aura à ne plus savoir qu'en faire. Préservons-nous encore dans ces premiers kilomètres. Dans ces 5 153 premiers kilomètres, qui nous feront rejoindre Irkoutsk, où nous marquerons un arrêt.

MPI_Article Transsib_Image 5_Transsibérien

La classe Koupé (Купе), est donc un petit cocon, tellement petit qu'il est dur de rester droit lorsqu'on est sur la couchette du dessous, et la largeur de la couchette est celle d'un homme de mon gabarit, c'est à dire plutôt fin. Question longueur, on est pas trop mal. Il y a quatre couchette par cabine, deux basses et deux hautes, et la porte peut se fermer. Dans le couloir, peu d'activité, et quelques prises électriques disputées, et même parfois réquisitionnées par une cabine, qui y branche une multiprise en faisant passer le câble sous le tapis. Le partage avant tout. Le risque aussi, vu la gueule de la prise. Sinon, notons côté déco, que les portes d'entre wagons sont celles d'une salle à manger, que l'odeur des rideaux et des tapis est celle de l'appartement d'une vieille tante et que les cloisons en formica vous rappelleront ces tables de cuisine regrettées, qui se vendent désormais chères sur les brocantes. Au bout du wagon, le samovar, toujours opérationnel, date de l'époque où il a été inventé.

MPI_Article Transsib_Image 6_Ricinthetrain

MPI_Article Transsib_Image 7_Couloir et samovar

Il s'avère qu'au fil du voyage on s'accommode parfaitement à l'affaire, et on y est sans nul doute mieux que dans notre désormais légendaire piaule moscovite. La raison, en est simple : la présence d'une fenêtre 16/9e, écran de cinéma psychédélique qui fait défiler des arbres pendant des heures, et quelques fois un village bien seul ou une gare inespérée. Les entractes permettent de dérouiller les jambes sur les quais, qui la plupart du temps donnent l'occasion de refaire le plein de vivres. Il faut dire que le wagon restaurant est une expérience humaine, gustative et luxueuse dont nous n'avons pas l'habitude et après quelques tentatives, la sagesse appelle plutôt à la conserve ou à la portion de nouilles lyophilisées avec micro boulettes de ce qui est dessiné sur l'emballage, plat tout aussi emblématique du Transsibérien. A l'approche d'Irkoutsk des vendeuses proposeront le poisson fumé, spécialité du Lac Baïkal. Voilà pour le décors. 

MPI_Article Transsib_Image 8_Snacks

MPI_Article Transsib_Image 9_Best sellers

MPI_Article Transsib_Image 10_Fish and chips

MPI_Article Transsib_Image 11_Platform

MPI_Article Transsib_Image 11_Provodnistas

MPI_Article Transsib_Image 12_Supermarket

MPI_Article Transsib_Image 13_Conserve

Place maintenant à l'action. Et pour juger de cette action, quelques chiffres valent mieux qu'un long discours. Notre voyage de Moscou à Irkoustk durera 74 heures et 45 minutes. Comme prévu. Une ponctualité digne des horloges suisses. 74 heures et 45 minutes réparties sur 4 nuits, trois jours complets, cinq fuseaux horaires, 5.153 kilomètres et comprenant 5h40 d'arrêt en gare pour 18 haltes. 74 heures et 45 minutes, ça fait du 69 kilomètre heure de moyenne, arrêts inclus. 74 heures et 45 minutes c'est plus de deux fois la durée hebdomadaire de travail en France, ou quelque chose de pas loin suivant votre contrat. Ca peut rester en deçà suivant votre métier également (urgentiste, médecin de campagne, ingénieur, et tous les autres métiers qui sauvent des vies). 74 heures et 45 minutes c'est également 38 allers-retours Paris - Lille en TGV, 10 pour Marseille, ou 10 traversées pour New York (en avion) sans compter les retards. C'est également 2,5 fois le temps nécessaire au recordman du GR20 pour boucler la distance (alors que plutôt 16 jours pour un randonneur moyen). Bref, il faut trouver de quoi s'occuper. Deux petits livres de russe, un livre d'un auteur russe renommé du XXe siècle, littérature oblige, et sur la fin, un magazine que notre compagnon de chambrée Sacha (Саша), nous a laissé en nous quittant à Omsk, mon premier VRAI livre en russe, sans traduction, que je suis fier de vous présenter.

MPI_Article Transsib_Image 14_Maxim

MPI_Article Transsib_Image 15_Genre t'apprends le russe

Sacha est monté à Perm, et a pris place dans notre cabine. Il est un jeune garçon un peu timide, mais casquette à l'envers, T-shirt entre rappeur et skateur, pantalon de jogging : tout est noir sauf les baskets blanches. Les bras sont musclés, les cheveux blonds. Sacha est un jeune sorti de l'adolescence mais peut être pas encore vraiment grand adulte. Nous engageons la conversation et nous lui proposons de partager notre repas. Mais Sacha n'est visiblement pas intéressé par notre vin rouge, ni par nos rillettes de canard et saucisson, il est vrai un peu suintants, chaleur oblige depuis notre départ, ramenés tout spécialement de France pour cette occasion. Nous poursuivons néanmoins notre conversation autour de nos destinations, de nos provenances, de l'Euro de football, de comment fonctionne le train et un peu la Russie. Et pour Sacha qui pointe un village par la fenêtre : « C'est ça la Russie, c'est pas Moscou ». Pour Sacha, fumer entre les wagons c'est interdit, sauf si tu payes la provodnista, parce que c'est ça la Russie. Mais Sacha, rapidement fatigué, sors sa lecture d'avant dodo, un numéro de Maxim spécial Instagram, que vous connaissez désormais. Nous regardons alors par la fenêtre la Russie de Sacha.

MPI_Article Transsib_Image 16_Village

MPI_Article Transsib_Image 17_Réservoirs

MPI_Article Transsib_Image 18_Abandon

MPI_Article Transsib_Image 19_Loco driver

MPI_Article Transsib_Image 20_Krasnoyarsk

MPI_Article Transsib_Image 21_Fleuve

Tout cela pour dire, que notre expérience du Transsibérien ne fut pas celle d'une grande kermesse ou tout le monde s'échange des tapes dans le dos et où l'on fait passer les bouteilles de tables en tables en criant qu'il est des nôtres. Ce fut plan-plan. Pourtant, chaque histoire que l'on entend du transsibérien depuis quelques jours que nous l'avons quitté, est différente de la notre. On peut même dire qu'elles sont toutes à chaque fois meilleure que la précédente. Parfois, inventer un film de science fiction avec les meilleurs composants de toutes ces aventures relèverait d'un exercice pas simple pour qu'il tienne la route. Non nous n'avons pas eu de départ de feu dans notre compartiment, non nous n'avons pas eu de main au cul par des russes bourrés, non nous n'avons pas assister à une tentative d'égorgement au couteau suisse par un tchétchène, non nous ne sommes pas montés dans un autre train après un arrêt, repartant en arrière, et devant le rattraper en taxi en pleine nuit avec l'homologue de Daniel. Non, rien de tout cela, mais une expérience excellente à vivre, comprendre que oui, nous pouvons rester tranquille pendant 74 heures et 45 minutes, dans un train. Pourtant je me rappelle combien était long et insoutenable ce vol vers la Chine, où à chaque fois que je me réveillait, allant regarder la carte de mon écran, je voyais : « la Russie, encore la Russie ! ».

Ce fut donc un voyage agréable et même reposant. Ce que nous avons pu dormir ! Prendre le temps de lire, de réfléchir, de faire le vide. A la nuit tombée, perturbé par le décalage horaire que nous subissions inexorablement en allant vers l'est et la vie du train et des gares sous l'horaire de Moscou, fixant le nord, immobile, le front collé à la fenêtre, la lumière du couloir aidant, je voyais le reflet de ma gueule figée, avec la Russie éteinte qui défilait. Les campagnes étaient noires et les villes grises. Et ça me suffisait bien. Le jour, quand on voyait mieux, on voyait, des arbres. On allait tout droit. Très rares étaient les virages qui nous permettait, depuis notre voiture en position centrale d'observer les voitures de têtes ou de queue. Le train file vraiment tout droit. Et puis, souvent on parle de l'Altiplano, et quand on le photographie, on se dit, «ah oui, c'est dingue comme c'est plat ». Oui, peut être, et c'est bien joli la Bolivie, mais l'Altiplano, en vrai, c'est entre Moscou et Krasnoyarsk. Pas une colline sur tout le trajet, seules quelques rivières ont creusé la terre, mais rien d'autre. Comme si la Terre était indéfiniment plate. Et sans parler de la forêt qui n'en finit pas. Si à Moscou on me demandait où se trouvait Irkoutsk, je répondrais, tout droit, après la forêt. Au risque de choquer les écolos, on pourrait raser l'Amazonie pour en faire un grand parking, que la Sibérie serait toujours là pour nous sauver. De temps à autres, la présence humaine nous rappelle que même au bout de cette Russie là il y a toujours du monde. Et c'est aussi juste observer ça, dans sa terrifiante longueur, la vie du Transsibérien.

MPI_Article Transsib_Image 22_Fsibiri

Et dire que c'est pas fini. Que deux étapes encore vont nous faire, grâce à la branche dite du Transmongolien, arriver sur Pékin, dans le mois à venir.

MPI_Article Transsib_Image 23_Carte

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