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Moscou - Pékin - Istanbul : 8 pays, 25.000 km à travers l'Asie
18 mai 2020

Interlude Kirghize

Il est toujours difficile de reprendre un exercice qui s’était arrêté, et dont la destinée semblait être de rester inachevé. Longtemps j’ai pensé que celui de vous raconter la fin de notre chemin de 2016 était vain. Nous étions rentrés, mais notre récit s’était arrêté au Kirghizistan, laissant des milliers de kilomètres secrets, trois pays non racontés. En presque trois ans, nous n’avons raconté que quelques étapes, non des moindres il est vrai - cela penche en notre faveur - mais le temps entre chaque article était de plus en plus long, et la mécanique bien rodée qui nous oblige toujours à faire autre chose a conduit au fait que le dernier article a presque plus d’un an. Car oui, nous étions rentrés reprendre notre petit train qui doit pourtant aller toujours plus vite. On a aussi, comme vous le savez, et en toute modestie, « donner la lumière » comme disent les espagnols. Cela aussi plaide en notre faveur. La vie ordinaire a repris, et seule sur le mur de nos toilettes une carte du Monde nous permet de nous évader et de repenser à tout ce que nous avons vécu sur les routes, et toutes les routes que nous voudrions encore connaître. Pendant ces quelques moments de calme imposés au milieu de notre vie beaucoup moins insouciante, la nostalgie monte comme la moutarde, l’envie comme le wasabi, jusqu’à en devenir insupportablement bonne. Et, en cette curieuse période, où un virus au nom codifié semble avoir la capacité de nous faire poser la question de rebattre les cartes, il n’en fallait pas plus pour retrouver l’envie de se questionner à nouveau sur les endroits où nous voulions être, les sensations que nous voulions vivre. Vivre comme des ermites, vivre comme des errants, vivre un peu de tout ça, par phases ? Et au cours de ces réflexions, et au vu de notre situation actuelle, le plus simple était finalement que nous devions vivre comme des ermites et que nous pouvions encore raconter notre errance.

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Mais reprenons un cours normal. Comme vous en avez l’habitude, à chaque changement de pays, les sons et les saveurs de celui que nous quittons sont mis à l’honneur. Vivez cet article comme une respiration, autant que comme une introspection. Si notre boucle au pays du soleil jaune (sur le drapeau), a été davantage une révélation sur le plan des saveurs, nous devons traiter avec autant d’intérêt celui du son. Car le son du Kirghizistan mérite que l’on s’y intéresse, d’un point de vue plus académique (c’est-à-dire grâce aux encyclopédies).

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Au Kirghizistan, nous avons eu beaucoup moins d’occasions d’écouter de la musique. Par rapport à la Mongolie et ses kilomètres parcourus dans un van au chauffeur ambianceur, la Chine et son avalanche de musique dès lors qu’il y a des vitrines, des espaces de vente, des lieux de restauration, des bus en route ou à l’arrêt, le Kirghizistan, avec sa nature si brute, ses ressources si modestes, n’a pas été le pays où nous aurons écouté le plus de musique, ni n’aurons goûté la plus grande variété de plats. Mais c’est pourtant bien là que nous aurons mangé les meilleurs chachliks, les meilleures salades de tomates et les meilleurs yaourts à la confiture. L’un dans l’autre, on n’est pas malheureux.

L’ouïe

De mémoire, on entendait de la musique surtout lorsque nous étions sur les terrasses de Bichkek. Souvent, il y avait même la télévision, dans un coin, qui mettait en mouvement l’interprète ou une histoire tirée par les cheveux autour du thème de la chanson. En dehors de la capitale, il n’y avait pas d’images, mais pas non plus beaucoup de sons. Nous passions le plus clair de notre temps dehors, dans des yourtes, ou des auberges au confort minimum. Oui, il y avait bien ces quelques échoppes à Karakol, qui à la nuit tombée vous rendait sourd avec de la musique sans intérêt, mais diablement festive. Mais à bien y réfléchir, il n’y a pas eu vraiment beaucoup de moments où nous entendions un son dont l’existence était liée à une démarche artistique.

Pourtant le Kirghizistan est un pays qui compte sur un certain folklore, avec des instruments traditionnels et des musiciens qui portent des chapeaux. C’est souvent le lot des pays avec des peuples nomades, qui par le chant véhiculent légendes, histoires anciennes et accompagnent les rites. Mais les Kirghizes se contentent souvent du port du chapeau, et ne s’encombrent pas de l’organisation de représentations folkloriques. C’est qu’il n’y a pas vraiment de lieux, où, un ensemble peut passer de terrasses en terrasses, jouer quelques accords tandis que l’un d’eux déambule entre des tables bondées de devises, pour disparaître aussitôt ces dernières dans le chapeau. Les Kirghizes ont de gros chapeaux, mais sont pragmatiques autrement.

Le peuple kirghize est un peuple fier de ses traditions. Ils les jouent entre eux et cela leur suffit. Comme un adulte réécoute de temps en temps, lorsqu’il est seul, à fond dans son salon, ce qu’il écoutait avant. Il n’a pas besoin de le dire à d’autres pour prendre du plaisir, une vague de nostalgie en pleine face. Le peuple nomade d’Asie centrale s’organise pour lui seul des shows de grandes volées, comme s’ils étaient tous réunis dans une grande chambre décorée pour l’occasion, et ils crient alors leur amour pour leur pays, ancienne république soviétique. Comme l’esprit de compétition anime les Hommes, ils se convoquent parfois pour de petits duels ou de petites olympiades, dans un esprit fraternel et de fiertés partagées. Cela ressemble à un Intervilles musical, un tournoi de quartiers où l’on applaudi ses couleurs sans siffler l’autre, car se serait sans doute siffler son cousin. Ainsi, cette petite joute est à regarder avec délectation, et patience :

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 1_Komuz Dombra duel

Vous l’aurez remarqué, il s’agissait ici d’un duel. Kirghizistan – Kazakhstan. Il s’agissait d’un duel où personne ne l’a remporté, si ce n’est, comme conventionnellement on l’accepte, la musique. Vous aurez reconnu la maestria des protagonistes, la bonne humeur des supporters. Malheureusement nous n’aurons jamais pu, ne serait-ce qu’imaginer, assister à un tel spectacle, une telle avalanche de quadruple-croches si maîtrisées, avec des sourires qui te disent que si simple est la guitare. Bref un spectacle que tout musicien, amateur ou confirmé, aurait apprécié de manière équivalente.  

Il y a aussi, au Kirghizistan comme ailleurs, de jeunes virtuoses qui osent le mélange des genres. La séquence que l’on vous propose ici ne l’est absolument pas dans le but de vous faire penser que l’on veut montrer du kitch de l’est, du kitch post-soviétique. Si la séquence à quelques codes qui se rapprochent de la danse sur glace, et donc qui valent qu’on en sourie un peu, il n’en reste pas moins que ces jeunes musiciens, sont de vrais virtuoses. Pour cette séquence faite pour une production locale, le play-back est évident, les costumes moins, l’interview à la fin est risible par la forme, mais si vous parlez kirghiz et aimez la musique, elle dit de vraies belle choses, et en fait, malgré les quelques « Excluziv’ » du présentateur content de les avoir sur le « plateau », il faut reconnaître qu’ils parlent vraiment de musique, alors que Denisot s’intéressait plutôt à lancer des humoristes en rodage.

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 2_Sur la corde shred

Voilà, peut-être certains d’entre vous n’ont rien appris de cette première partie de l’article et saviez que ces virtuoses s’exportent dans les meilleures salles de nos capitales et villes principales. Pour avril, vous aviez peut-être d’ailleurs réservé billet + train + hôtel pour Hambourg, qui s’était préparé à vous faire entendre ce que le Kirghizistan a de meilleur, comme vous le saviez. Mais le virus est passé par là, et a fait manquer à l’Europe ce que l’Asie centrale a aussi de beau. Ils reviendront c’est sûr.

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 3_Until Hamburg philarmonia

Le goût

Si vous êtes arrivés au bout de cette deuxième vidéo, cela vous classe automatiquement dans la catégorie des mélomanes amateurs de technique, ou des paumés. Ou de la famille. Mais mieux valait ça que 99% des vidéos stockées dans les serveurs de You Tube. Vous n’êtes donc pas dans les standards, mais vous avez peut-être d’autres problèmes. Cela ne vous empêche pas par ailleurs, d’aimer les choses simples. Vous dépensez sans doute tellement d’énergie et de concentration à la musique, que le reste se doit d’être simple. Pouvons-nous ainsi vous proposer une simple salade oignon cru, tomate, concombre ? Ajoutons simplement quelques shashliks ? Osons-nous de pelminis, samsa ou laghman comme un unique plat d’un bord de route ?

Les saveurs kirghizes sont assez simples, et simplement excellentes. Elles sont souvent basées ou offertes sur la base des quelques plats cités à l’instant, eux-mêmes basés sur des éléments simples et peu nombreux, sans tentative d’associations huppées ou de recherche de textures. En faisant un peu d’anticipation, on vous annonce déjà que pour l’interlude ouzbèke, nous ne dirons pas ça. Non pas qu’il y ait plus de recherche, mais simplement que pris unitairement les ingrédients sont un poil moins subtils. Sans doute nous orientrons-nous notre prochain interlude vers la Vodka (après avoir abordé deux exceptions). Nous n’avons pas encore vraiment abordé les boissons, en tout cas pas dans un article dédié. Ce sera l’occasion. Et clairement, mieux vaut pour l’Ouzbékistan, en passer par là. N’en disons pas plus pour le moment. Ne nous spoilons pas nous-même, comme le veut l’expression. Et parlons du goût kirghize.

Le goût kirghize est assez pur. La viande est comme sortie des champs. Comme s’il s’agissait d’une culture sur pied que l’on aurait choyé comme la meilleure vigne. Sans doute est-ce davantage une affaire de climat (tiens !, on parle aussi de bœuf bourguignon), car je doute que les bêtes soient vraiment choyées. Je pense qu’elles vivent comme elles peuvent, et que c’est de cette force qu’elles tirent leur goût, leur tendresse. Comme quoi, il ne faut pas toujours attribuer aux Hommes les mérites qu’ils attendent.

Et puis il y a les légumes, les crudités. Avez-vous déjà coupé une tomate, un concombre et un oignon et provoqué l’extase incontrôlée à un invité ? Là-bas, oui, c’est possible. Mais au-delà du possible, c’était du systématique : nous étions à chaque table ces invités qui en font des caisses sur le plat, même si pour nous il fallait lâcher quelques menus soms à la fin. Et puis, pas la peine de demander à l’hôte qui était le petit producteur qui le fournissait, il aurait désigné du menton sa grand-mère, assise là-bas dans un coin, même s’il n’aurait pas bien compris la notion de petit producteur. En fait, en parcourant le pays, on se demande bien où sont produits ces légumes et ces fruits, et dans un second temps où est Rungis. Comment la chaîne logistique est organisée pour que ces merveilles arrivent sur la table quel que soit l’endroit, alors même que souvent les endroits sont justes bons à être broutés par des animaux en survie.     

Et puis, bien sûr, il y a des moments où les peuples se lâchent et inventent des gloubi-boulga. Ce sont les plats qui font du bien, pour toutes les fois où l’on n’a pas envie de manger sain ou cher. Ce genre de plats de lendemain de fête, qui passe soit chaud soit tiède, entre bouillon ou truc en sauce. Tout devient moins identifiable, sauf peut-être la pâte qui ferme la raviole. Cela cale, et se conçoit. C’est le sens de la vie. Tant que les samsas seront là, c’est que la vie heureuse aussi. Lorsque Deliveroo arrivera là-bas, ce sera, dans les villes de province, le produit star des barquettes plastiques.

Mais à quoi ressemble tous ces plats ? Vous remarquerez que dans nos articles on voit peu ce que l’on mange. Il est très rare que lorsque nous sommes à table nous prenions en photos nos assiettes. Ce n’est d’une part pas dans nos habitudes et puis, d’autre part, c’est que, à l’arrivée dans un pays, on se dit que l’on a encore le temps pour faire ces photos génériques, puis qu’au cours de la traversée on est pris par la traversée, et à la fin il est parfois trop tard.

Ce n’est pas que nous n’associons pas la bouffe au voyage, bien au contraire, demandez à Juliette ce qu’elle pense de la bouffe mongole, simplement, quand nous bouffons on ne pense pas trop que quatre ans plus tard on va faire un article là-dessus. En fouillant, j’ai retrouvé quelques traces de bouffe sur des photos, mais vraiment pas grand-chose. Là par exemple, sur cette photo que vous connaissez déjà mais pour une autre part du récit, le samsa n’est clairement pas l’intérêt numéro un de la photo, et on peut en voir si on a l’œil averti, quelques bouts qui restent dans une assiette.

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 4_Bout de samsa

Mais c’est un peu près tout ce que nous avons dans nos archives. Il nous faut donc pour cet article, comme nous voulons vous en parlez certes, mais aussi le documenter un peu, aller sur Internet. Les images que vous allez voir ne sont donc pas les nôtres, et seront aussi sans doute les premières que vous trouveriez en tapant « cuisine kirghize » dans votre barre de recherche. Disons que nous mettons donc juste le pied à l’étrier. Nous pouvons juste vous dire que tout ce que nous allons évoquer maintenant a été goûté à la régulière, et sous les aspects montrés. Et il n’y a pas de gloire à avoir, si ce n’est de belles saveurs à se remémorer pour nous, à imaginer peut-être pour vous.

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 5a_Laghman

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 5B_Manty

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 5c_Samsa

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 5d_Pelimini

MPI_Article Interlude Kirghize_Image 5e_Shashliks

Bien sûr, en effectuant nos recherches nous sommes tombés sur des plats dont nous n’avons jamais dit le nom là-bas. Peut-être en avions entendu le nom, ou l’avions-nous lu en cyrillique sur des menus ? Il faut savoir que parfois dans un tel voyage, les journées sont longues et dures, et le soir, il nous faut le réconfort simple d’un plat qu’on aime. Il ne faut pas vouloir tout goûter coûte que coûte. D’ailleurs ce n’est pas souvent possible dans les endroits simples dans lesquels nous allons. Alors oui, assurément nous n’avons pas goûté en un mois certains des plats que nous pouvons lire dans le top 6 des plats kirghizes de quelques sites écrits en français. Est-ce pour autant que nous avons raté quelque chose dans notre voyage ? Non, nous sommes juste passés à côté de quelque chose de plus, qui doit nous permettre, avec toutes ces autres choses de plus, d’avoir l’envie d’y retourner, pour le réconfort, ou pour la découverte. Qu’on ne nous reproche donc pas de n’être pas une encyclopédie.

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