Interlude – Fort comme un – Ouzbek (mais pas que)
L’heure est venue de notre article de transition, désormais rituel avant d’entamer le pays d’après. Il nous faut d’ailleurs une bonne respiration car l’article d’après nous enverra haut, très haut, et Noukous, décrite dans notre précédent article était un peu notre Baïkonour, ou disons notre Cap Canaveral, destination oblige. L’antichambre d’un voyage inconnu, et qui se déroule d’une traite, sans retour en arrière possible ni approximations dans l’organisation. Les quelques lignes qui viennent sont donc capitales pour profiter une dernière fois des plaisirs ouzbeks comme ceux de la Terre, et peut être percer le mystère qui fait qu’aujourd’hui on dit souvent, à propos de celui qui parait l’être, qu’il est « fort comme un ouzbek ».
D’abord manger
Mais d’abord nous expliquer. Dans notre dernier interlude, nous avions déjà évoqué la teneur de celui-ci. Nous savons désormais comment faire tenir le lecteur en haleine, saison après saison, et les histoires sont portées épisode après épisode en suivant le scénario. Nous avions ainsi écrit : « Sans doute orienterons-nous notre prochain interlude vers la Vodka (après avoir abordé deux exceptions). Nous n’avons pas encore vraiment abordé les boissons, en tout cas pas dans un article dédié. Ce sera l’occasion. ». Toujours est-il que cette première partie, « D’abord manger », va donc déjà aborder les deux exceptions, puis basculer vers le cœur de l’article. Au risque de restreindre le tour d’horizon de la gastronomie ouzbèke, sans vouloir pourtant la minimiser.
Il faut d’abord pourtant que nous indiquions pourquoi dans l’interlude kirghize, nous avions évoqué la bouffe plutôt que la Vodka, et pas l’inverse. Au final c’est presque injuste. Mais pas tout à fait. L’interlude à la base était un article plein de vie, et nous y faisions chronique gastronomique, comme un bon mensuel à la ligne éditoriale respectable. À peine y avait-il quelques histoires un peu plus osées qui avaient dû attirer le lecteur. Et parmi elles quelques épisodes de vodka-soleil-jaune au Kirghzistan, dont notamment un dont nous nous souviendrons à peu près toute notre vie. Mais au-delà de ça, et au-delà de vouloir garder la poire pour la fin du repas, la nourriture kirghize nous avait réjouie et nous avions envie d’en parler plus longuement, de ne pas remettre en avant quelques péripéties de parcours que nous avions finalement déjà racontées. La nourriture kirghize nous avait aussi un peu plus emballée que la nourriture ouzbèke. Et la folie ouzbèke était un poil au-dessus de la folie kirghize. Sans vouloir amoindrir cette dernière, qui était une folie douce. Voilà comment les choses se sont écrites. Clairement c’est la partie d’article la plus subjective que nous avons dû rédiger. Et elle ne vaut rien dans un sens encyclopédique puisqu’elle n’est que le fruit du hasard, car principalement de nos rencontres et de nos errements.
Ce qui a joué aussi, sur le plan de la bouffe, c’est que la variété kirghize était supérieure à l’ouzbèke, que les produits étaient plus que parfaits, et que les lieux de sustentation étaient facilement identifiables comme des endroits où on allait passer un bon moment, simplement. En Ouzbek’ nous nous contentions du hasard et des marchés d’Etat bien établis. Alors qu’il était assez facile au Kirghize de manger bon et bien sans trop farfouiller les dédales de marchés. En Ouzbék’, il y avait aussi les restaurants prisés. Ceux qui, bien souvent, se donnent le défi de reproduire mal des plats simples d’ailleurs, dans des décors inappropriés. La classe moyenne ouzbèke adore s’habiller pour s’y retrouver. C’est cher, et cela semble contenter tout le monde. Il y a la saveur de la modernité et un service qui vous place au-dessus. Mais cette imitation de cuisines, de mobiliers, de parures et de salamalecs ne contera vraisemblablement que les ouzbeks. Mais à nous de préciser qu’après un mois de Kirghiz’, nous y sommes allés quand même avec envie, le premier soir à Ferghana, car nous n’avions rien trouvé d’autre proche de notre appartement. Mais en en ressortant, nous étions pour le moins dubitatifs.
Encore une fois, cela ne veut pas dire que la nourriture ouzbèke ne soit pas bonne. On n’oserait pas le dire et on ne pourrait pas le dire. Les chachliks ouzbèkes (au féminin pour les brochettes) font aussi du bien, et à toute heure. Elles sont juste un peu plus grasses, vous font roter juste un peu plus dans les heures qui suivent, mais elles n’en demeurent pas moins de bonnes compagnes de route. Et dans la vérité du quotidien, elles font un peu plus « kefta » que pièces nobles, malgré les vidéos YouTube, qui sont notre première source d’info et notre juge de paix. Celle-ci-dessous présente des chachliks de fête comme des chachliks de tous les jours. Mais cette première vidéo est donc un rappel sur une des bases de la gastronomie ouzbèke, rien de plus. Et c’est déjà une exception à l’exception que de la présenter, car ce n’est pas un coup de cœur, ici en Ouzbékistan. Précision faite. Néanmoins, cette vidéo est assez bien expliquée, en même temps qu’elle est parfois incompréhensible et étonnante.
Vidéo avec placement de produit (et sans sous-titre).
Toujours autour de la viande, il s’agit de mettre à l’honneur le plat coup de cœur de l’Ouzbékistan : le plov (плов). Le plov peut se traduire en « Riz », même si le « Guruch » est le vrai nom du riz en Ouzbek. Mais disons que le plov est le nom générique en Asie Centrale pour cette recette de pilaf, alors qu’en Ouzbekistan, au quotidien on va l’appeler osh (oui, comme la ville au Kirghizistan) et palov les jours de fêtes. Mais alors pourquoi un plat qui peut se traduire en riz sous toutes les coutures tourne autour de la viande ? Les quelques vidéos qui suivent sont explicites, et les végétariens voudront dans doute détourner le regard une fois de plus, et les vegans poursuivre les hostilités déclenchées à la précédente. Après, il faut comprendre que le plov, c’est aussi un vrai génocide de carottes jaunes, et, avant l’Iran, un vrai génocide de riz, à tel point qu’on se demande bien où sont les rizières pour générer tout cela (mais là encore c’est une petite amorce).
Mais au-delà des considérations, voilà comment le plov s’est imposé à nous. Dans les marchés, les stands vers lesquels votre instinct vous conduit, sont là où il y a du monde, des tables et des chaises. Ce sont les cantines où invariablement, on vous sert chachliks, plov et gumma. Parfois, le choix était vite fait et il n’y avait que du plov. Tu arrives, et pas besoin de demander ce que tu veux, si tu es là, c’est que t’en veux. C’est un peu comme aller chez Léon de Bruxelles, c’est pour y manger des moules. Nous avons donc tôt gouté à la joie du plov, par hasard et par facilité. Juliette disait qu’en Afghanistan il y avait aussi du plov. C’était quelque chose d’apparenté, mais avec moins de viande, pas tout à fait les mêmes épices. Mais la méthode du pilaf était la même, et la joie qui ressortais de ce riz bien graissé était équivalente.
On notera quand même, que cette vidéo a priori mise en ligne le 8 novembre 2021 a, au 27 décembre 2021, date du travail autour du pilaf, 23,6 millions de vues sur YouTube. Cela pose question, forcément.
Et puis ce que nous voulions également vraiment mettre en lumière, c’était ce que nous avons avaler sans discontinuer depuis Kashgar : des pains ronds et délicieux que l’on trouve à presque tous les coins de rues, et qui, d’une certaine manière, n’ont rien à envier à nos baguettes. Si ce n’est pas tout à fait la même chose en terme de forme, de texture, de goût, c’est tout à fait la même fonction. Les nans au Kirghiz’…, les nons en Ouzbek’… selon comment on prononce et la transcription qu’on associe à des alphabets distincts (pour rappel, en kirghize alphabet cyrillique, en ouzbek alphabet latin), ça reste toujours du pain. Mais rien à voir avec notre pain. Ce pain en forme de couronne, décoré en Ouzbékistan de motifs dignes de bas-reliefs sur la partie plane intérieure. Ces pains que l’on oserait toucher tellement ils pourraient servir de décoration, autant de tableaux ronds accrochés aux murs. Ces pains pourtant qui se déchirent avec la main sans un bruit, sans une miette. Pas loin du brioché, ils fondent sous la langue, garnissent la panse, amoindrissent la vigueur de la vodka, adoucissent les rots telle une éponge dans une cornemuse. Ils ont ce petit côté sucré qui vous dit reviens-y ou viens seulement pour ça. Ce petit côté sucré va avec tout, et surtout les choses les plus grasses : comme vous l’avez noté à la fin de la vidéo des chachliks. Les non sont le pain quotidien, et on en bouffe une quantité considérable pendant une traversée d’Ouzbékistan. D’où les méthodes industrielles des boulangers de là-bas.
En bonus tout à fait exceptionnel, et un peu dans la même veine, une dernière petite vidéo pour la route, sur les gumma, élément phare de la street food ouzbèke.
Et en ultime bonus tout à fait exceptionnel, mais vraiment le dernier, une dernière vidéo (la source est désormais bien connue) : les samsas. Le principe est toujours le même, le résultat pas tout à fait identique. Nous les avions déjà rencontré au Kirghizistan, mais ne les avions montré qu’en photos. Voici les secrets de leur fabrication.
Ensuite se distraire
Clairement, nous allons nous distraire dans cette rubrique. Ah ça oui ! Mais pas tout à fait comme nous l’avions imaginé. Et cela nous l’avions déjà pressenti et annoncé lors de l’interlude kirghize. Malgré des heures de recherches supplémentaires sur l’internet (légal), impossible de retomber sur les musiques qui ont animées nos soirées dans les restaurants ouzbèks. C’est cela que nous voulions vous faire écouter. Parce qu’en fait, ces chansons nous avons fini par les connaître par cœur, à la fin de notre séjour. Ces chansons étaient les hymnes de l’année (enfin peut-être) de certaines des plus belles villes du pays, celles dont les habitants peuvent être fiers, ou alors en tous cas des villes qui ont pu se payer un spot publicitaire chanté : Samarkanda, Chakrizabz et Buqhara, telles qu’elles étaient prononcées à l’envi lors des refrains qui n’en disaient pas beaucoup plus. Pour vous donner une idée c’est un peu comme si « Lyon la ville du saucisson », « Bordeaux, couleur Bordeaux » et « Agen la ville des pruneaux d’Agen » mettait savamment en avant et musique les ingrédients susceptibles d’attirer le voyageur, ritournelles pouvant être tout à fait réutilisées dans les stades de chacune des villes (et pour Lyon, ça fonctionnerait malheureusement pas mal).
Ces hymnes, chansons pop mêlant les bases mélodiques locales avec les bonnes recettes rythmiques des tubes de radios, n’étaient pas déplaisants, à force. Ce n’était pas du Stromae, mais ça fonctionnait. Dès que leurs premières notes retentissaient, on réagissait avec quelques premiers déhanchements réflex, on finissait fissa notre bouchée, on prenait dans la foulée une petite gorgette de bière pour avoir les cordes vocales bien nettes (croyance stupide car ce n’est pas le même tuyau), et on était au rendez-vous des premières paroles. Nos têtes hochaient alors joyeusement, et nous indiquions ainsi haut et fort à ceux qui voulaient l’entendre, que nous étions bien instruits, bien dans le pays depuis longtemps. Presqu’ouzbek.
Mais de cela, sans trace, comme si ces musiques avaient déjà été oubliées, comme si elles ne méritaient pas un archivage ou en tous les cas une classification accessible en alphabet latin sur la plus grande vidéothèque du Monde (probablement de l’univers), nous devons nous rabattre sur des musiques peut être moins promotionnelles pour une ville, mais qui soulignent quand même le savoir-faire d’un pays, avec parfois même un peu d’exotisme et de fusion.
Voilà, encore un clip issu de YouTube. En le regardant pour la première fois je me suis demandé s’il serait bien compris. Pas tellement les paroles bien sûr, mais pourquoi celui-là. Pourquoi nous mettions en avant ce clip, qui clairement, dans nos standards, suscitent forcément autre chose qu’une lecture au premier degré. Déjà il emporte les meilleurs codes d’une production conventionnelle de l’Asie Centrale, et cela est fait de manière tout à fait respectable. C’est bien produit, avec les moyens du bord. Il n’y a pas peut-être les dernières technologies des effets spéciaux et graphiques, mais cela tombe bien, la chanson est tellement ancrée dans ce si bon vieux temps qu’était 2016. C’était il y a déjà bien longtemps. Elle nous permet de plus de montrer la place centrale qu’ont, les pseudo-restaurant occidentaux, dans la vie des ouzbèks et des ouzbèkes qui veulent se la jouer comme dans les films, comme dans les clips. Comme un étudiant ou une étudiante à Paris dans un Diner à la Pulp Fiction qu’il n’a pas vu. Et puis Nazugum Ayupova est sur l’intersection des cultures ouzbèke et ouïghour, ce qui n’est pas banal, hormis que ce sont deux langues turcophones. Malgré ces langues aux racines communes, il y’a peu d’Ouïghours en Ouzbékistan, mais quand même quelques-uns. Voilà une singularité qui valait bien quelques minutes de votre attention.
Pour ne pas rester sur cette particularité, il faut vous faire voir ce qu’il en est vraiment des charts ouzbeks. C’est quoi ce que l’on passe sur le MTV de là-bas ? Sur les ondes populaires ? Celles qu’on écoute chez le coiffeur ou dans les taxis. Celle que l’on entrevoit sur la TV au fond du resto, du salon. Cette sélection date de 2018, mais doit être assez représentative de ce qu’elle aurait pu être en 2016, au vu des sonorités qui ne sont pas si éloignées, même si les paroles de 2018 sont peut-être un peu plus engagées encore, les sons plus électroniques. Un vrai medley en 5 minutes. Certains s’aiment, certaines se haïssent, certains et certaines sont seuls au monde, certains essayent de reprouver leur amour dans une tentative ultime. La musique a néanmoins, quelques soient les styles portant ces histoires et les quelques années de différences, une particularité ouzbèke, ou turcophone. Les codes de la famille et des gens biens surnagent, les influenceuses ne sont pas loin, les voyous trustent parmi les plus belles places du TOP 40 2018.
Enfin, vient la variété telle qu’elle est montrée au peuple, les soirs de grande audience. Et telle qu’elle est vécue par lui, dans la salle et certainement derrière les téléviseurs. Pleinement, fièrement. Ce n’est plus du MTV un peu froid. C’est du Champs Elysées carrément décomplexé. De la variété du samedi soir, mais qui ne bouge pas d’un poil. D’abord ce rappel donc de ce que l’on sait faire en France, avant de vous faire voyager plus loin, mais dans un temps plus proche.
Mais retrouvons notre route. Laissons la nostalgie de nos bonnes émissions bien de chez nous, pour rallumer la TV là où nous avons quitté notre route. De la variété aussi bien faite que chez nous, donc. À la fin, de toutes façons, ça fout toujours les larmes aux yeux. Pour plein de raisons. Parce que c’est beau et efficace d’abord, et puis parce que souvent la variété ramène à un patrimoine d’un pays. Un patrimoine que les gens aiment au quotidien, qu’ils revendiquent, qui les rend fier.
Et ils ont raison tous ces gens d’être fiers de leur beau pays, de leur belle culture. De ce qu’ils font vivre au travers d’accointances avec la modernité. Que ce soit kitch, ce que l’on va voir plus bas ? Ce n’est qu’un jugement de merde. Ces dames, debout dans les allées s’amusent, se souviennent des pas de leur jeunesse, les plus jeunes vivent sans doute un moment de relâchement dans ce qu’ils tentaient de faire valoir comme ligne de modernité. Ils n’écoutent pas ça au quotidien, mais quand ça passe et qu’il y’a les costumes, ils ne peuvent pas s’empêcher de dire Ouzbékistan je t’aime. Alors même que, soyons honnêtes, même après la mort de Karimov, le pays n’a pas dû devenir le paradis sur Terre.
Au-delà du pays et des politiques, c’est surtout au territoire qu’ils disent ça, pour sûr. Mais qu’il est bon de voir que pour accompagner cette fierté, sur l’écran de fond de scène, ce sont les images de tous ces sites inestimables de beauté que nous sommes allés voir qui sont affichés. Chez nous se serait l’équivalent de la Tour Eiffel, du Sacré-Cœur, du Louvre et des Tuileries, du Panthéon, de Versailles, du Mont-Saint-Michel, de Chambord, du Pont du Gard, de la Cathédrale de Strasbourg, et la liste pourrait être longue. Dans le générique de Champs-Elysées que vous avez pu voir plus haut, ça s’arrêtait aux monument de Paris. Mais le titre ne laissait pas de doute ni d’espoir à voir plus loin que Paris. Là, sur cet écran, il y avait Samarcande, Boukhara, Khiva. La triplette magique. La triplette tant attendue (avec toutes les mosquées 1, 2 , 3, madrassas 1, 2, 3). Et surtout des danses et des robes, des paroles et des mélodies qui dépassaient largement ce qu’une capitale un peu montée sur rien pouvait produire.
Cela n’est pas sans rappeler certaines scènes vues dans d’autres pays. Je me rappelle qu’en atterrissant à Lima, après douze heures de vol depuis Madrid, les péruviens assis à côté de moi scandait des Viva Perú, tapaient dans leurs mains et montraient les interminables quartiers ocre-gris des faubourgs de Lima comme l’Eldorado, à leurs enfants nés en Espagne. Simplement qu’ils étaient à nouveau à quelques minutes de fouler leur sol, et que quoi qu’il s’y passait de bien ou de mal, c’était leur sol, et c’était donc le plus beau, celui qui les animait le plus. Et d’autres scènes de fierté, il y’en a beaucoup partout, sauf peut-être un peu moins en France, ce pays qui comme le disait Tesson, est un « paradis peuplé de gens qui se croient en enfer ».
Il me semble l’avoir déjà cité dans un autre article, mais cela, est toujours bon d’être rappelé. Sans dire que certains sur le territoire ne vivent effectivement pas de situations difficiles. Mais est-ce toujours de la faute de la France ? Surtout si l’on se place en tant que territoire délimité, démocratie tantôt de telle ou telle mouvance ? Je pense vraiment que Tesson parlait de la moyenne, de la justice et de l’appui d’un système social, de la chance que nous avons de vivre aux alentours du 45e parallèle, et de la fierté que nous devrions avoir pour tout cela. D’autant plus en comparaison avec tout ce qu’il avait déjà dû voir, c’est-à-dire pas mal, de la dureté des climats et des régimes politiques réellement oppressants. Si le paradis n’existe pas, encore moins sur Terre, il faut alors comparer et se contenter de ce qui est le moins pire.
Je veux profiter de l’occasion de ce bavardage pour caler une vidéo pas du tout ouzbèke, mais qui comme les images de l’écran du fond de scène de la dernière vidéo, met à l’honneur un pays dont le peuple est fier, alors que pourtant, ce n’est pas l’équité et la sérénité tous les jours, que nombres d’entre eux ont dû s’exiler pour tenter de mieux vivre, et encore. Mais que bordel qu’ils sont fiers d’être ce qu’ils sont, né là-bas ou descendants. Je veux parler du Mexique, et de cette chanson écrite comme une publicité de l’office du tourisme mexicain (là aussi).
Si cette chanson est mise en avant dans un article sur l’Ouzbékistan, outre palier le fait que nous n’avons pas pu retrouver toute la musique ouzbèke que nous voulions vous montrer, c’est aussi pour dire que les ouzbèkes sont déjà fiers de leur pays en leur pays. Dans les clips usant des hélicoptères ou peut-être mieux, des drones à outrance, Luis Miguel assure aussi le taf pour tous ceux qui n’y sont pas. Soit les expatriés, soit ceux qui y sont passés suffisamment longtemps, soit ceux à venir. Mais seuls les deux premiers auront les larmes aux yeux pendant l’enchaînement de séquences et de déclarations d’amour aux différentes régions du Mexique. Les mexicains qui y vivent encore, eux, ne doivent pas pleurer. Mais s’ils étaient ne serait-ce que quelques semaines éloignées de leur camp de base… aie aie aie, caramba, ce serait une toute autre histoire.
Et car Luis Miguel est un récidiviste en même temps que le meilleur porte-drapeau-lisse, une preuve de plus pour continuer, et montrer qu’on peut faire de la bonne musique en étant fier de son pays, avec des mots tous simples (Que bonita es mi tierra… que linda).
Luis Miguel, avec l’autre icone mexicaine un peu plus jeune Marco Antonio Solis font le job en ce sens : ils visitent les grands pôles de la diaspora et font des concerts qui sont autant des évènements que Johnny au Stade de France, mais plutôt en mode Johnny à Montréal. Mais si nous nous contentons des vidéos officielles et nous éloignons des captations enregistrées au cellulaire à Saragosse ou Merida par des caissières de supermarché, nous pouvons remarquer que certaines chansons recyclent sans vergogne des images de précédents. Sans pour autant que les clips ne soient pas les uns les autres aussi plaisants à voir.
Voilà, tout se mélange. Ouzbékistan, France, Mexique. Alors que nous nous apprêtons à aller sur la Lune. La variété est sans limite, et tous les peuples savent en faire de la très bonne.
Et la vodka dans tout ça ?
La Vodka en Ouzbékistan, elle a coulée plus fort que le Syr et l’Amou Daria réunis. En a-t-on bu plus que ce qu’il reste d’eau dans la mer d’Aral ? A nous deux sans doute pas, mais il est à se demander si tous les Ouzbèks croisés ou ne serait-ce qu’entraperçus ou devinés derrière un mur ou un champ de coton, n’auraient pas ensemble, pu assécher une mer d’Aral de vodka ?
Nous avons eu quelques petites histoires avec la Vodka sur la route, c’est vrai. La fameuse petite eau, vous le savez. Souvent pas beaucoup plus chère qu’une eau minérale, et beaucoup plus utile qu’un café. Elle est toujours debout à l’heure des toasts. D’ailleurs, c’est souvent qu’elle qui sera la dernière debout. Car lorsque le débit augmente, c’est souvent l’eau qui gagne. Les humains constatent les dégâts, le lendemain, à la lumière du jour. Aussi soudaine et imprévue qu’une crue après la rupture d’un barage, la vodka peut arriver devant vous et ne pas vous laisser le choix. Et au lendemain de la crue : la cruda (comprendre la grosse gueule de bois), comme on dit au Mexique ; tout est lié.
Et cette vodka, était-elle aussi bonne que la variété qu’on nous servait à l’écran ? Aussi bonne que la Tequila qu’on me donnait au Mexique pour soigner un mal de genou ? Non sans doute pas. Mais elle se buvait. Et comment dire si une vodka est bonne, comme ça sur la route, à 9h du mat’ en mangeant des brochettes qui pissaient le gras ? C’est juste de l’eau qui pique, mais sans bulle. Et puis sans avoir jamais eu accès aux épiceries fines de Saint-Pétersbourg, pour comparer, c’est difficile. Finalement, je n’ai jamais eu l’occasion d’associer une bonne vodka à un bon saumon. La vodka sur la route était bonne car elle sentait comme l’essence et qu’elle était associée aux brochettes, aux raviolis, aux beignets de viande dégoulinants.
En Ouzbékistan, on a donc eu quelques aventures qui nous ont indiqué qu’il fallait être prêts à boire la petite eau à toutes heures. S’il y a des chachliks au petit-déj, c’est qu’il a plus que certainement de la vodka pas loin. Si tout par en cacahuètes en fin de soirée : c’est qu’il y a plus que certainement de la vodka pas loins. Et puis, entre les deux, tout peut arriver. Un déjeuner, un goûter, une bonne occasion.
On se rappelle aussi que Karimov serait mort après une cuite de trop. A la vodka cela va de soi. C’est que cette petite eau ne doit pas être prise à la légère. En principe, dès le premier verre, cela doit se comprendre. Quand l’œsophage se met à vibrer de manière incontrôlée, cela devrait déjà être un premier signal. Mais on le sait l’euphorie, aveugle, couvre les signaux faibles. La quantité de vodka que l’esprit imagine pouvoir ingurgiter est parfois plus grande que celle dont le corps en est capable. La quantité de vodka devant vous croit, de plus, proportionnellement avec celle qui est derrière. C’est un cercle vicieux, dont la sortie n’est pas toujours facile à trouver. Et ce fut le cas lors de cette soirée à Tachkent.
Comme nous n’avons pas l’habitude de prendre notre pomme en permanence, et encore mois de filmer nos situations, nous n’avons pas beaucoup de matière sur ce que l’on essaie de vous raconter. Déjà, notre pomme imbibée de vodka n’aurait eu que peu d’intérêt dans le cadre d’articles traitant de l’économie, de la géopolitique et de l’ethnographie, de l’Histoire, des droits humains et sociaux, des curiosités naturelles, des sciences molles, que nous nous attachons à écrire. Nous ne filmons pas non plus les autres, car nous ne sommes pas reporter d’images. Tout juste écrivons nous sept ans plus tard ce que nous avons vécu. Mais pour faire vivre ce genre d’article, il faut tout de même donner un peu de souffle. Et pour le trouver, trouver le bas fond des vidéos faites à la main, et sans trucage, et qui présente la réalité du terrain, quoi de mieux que YouTube.
Lui c’est Crazy Russian Dad. Il serait donc russe, mais comme quelques autres résidant en Ouzbékistan. La leçon vaut tout à fait.
Des touristes belges pris au piège de l’hospitalité ouzbèke : Pourquoi cette vidéo ? Car tout simplement finalement, elle est représentative des quelques traquenards dans lesquels nous sommes tombés, plutôt volontairement. Déjà la fameuse soirée à Tachkent, à l’auberge, avec le proprio et ses amis. La seule différence est qu’on était plutôt 25 autour de la table, et qu’on était au bord d’une piscine. Sinon, il y avait autant de plats sur la table, et tout était grandiose à sa façon.
Et maintenant, conclure
Voilà. Cet article aurait pu s’appeler « fort comme un Ouzbek, fier comme un mexicain », ou l’inverse, au final. Pourquoi avons-nous tant divagué ? Une chose en appelle une autre, et se remémorer des souvenirs forts d’il y a sept ans ou d’il y a quatorze ans… quelle différence ? Nous avons tous fouler des terres qui nous ont marqué, et avec cela un même sentiment, parfois galvaudé, d’appartenance. Mais en tous les cas avec des souvenirs qui accrochent. Pour le Mexique, quatorze ans après, l’émotion est toujours intacte. México en la piel avec sa mise en image présentant le Mexique comme le paradis sur Terre, c’est surréaliste, mais ça me donne toujours la larme à l’œil et l’envie de reprendre sur un coup de tête un billet aller, et de s’y installer. Pour l’Ouzbékistan, ce sont davantage les souvenirs d’une traversée. Le lien que nous avons pu développer avec cette terre était quand même moins fort, et l’envie de s’y installer ne nous effleure pas tous les jours, encore qu’il serait tout à fait possible d’y vivre. Car comme partout ailleurs, il y a de quoi manger, se divertir, et se la coller en criant (enfin pour cela, ce n’est pas non plus valable partout, et on va s’en rendre compte 800 kilomètres plus loin, sans que nous puissions dire que c’était une surprise).
En tout cas, le mot de la fin sera pour le grand Charles. Et laissez-vous emmener :