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Moscou - Pékin - Istanbul : 8 pays, 25.000 km à travers l'Asie
7 novembre 2020

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Chakhrisabz

Vous n’aviez jamais osé le demander, mais cela vous brûlait. Voici en substance ce que nous pouvons vous en dire, avec respect bien sûr, mais sans détour (encore que, Chakhrisabz en est un).

Commençons par le début : Chakhrisabz est une bourgade de taille respectable située au sud de Samarcande, à environ 1h30 de route.

S’y rendre, c’est se payer le luxe de sortir de la route habituelle. Celle toute tracée sur les cartes des sites web qui proposent la découverte de l’Ouzbékistan, dans des circuits aux noms qui sentent bon les mystères de l’Orient, le désert et ses caravanes. Cette route directe qui relie Samarcande à Boukhara, puis, en bout de course, plus à l’ouest encore, Khiva, véritable bouquet final bien emballé d’un voyage au pays des mosaïques. Car il peut alors être résumé ainsi. Se rendre à Chakhrisabz est donc pour nous une petite fantaisie avant de revenir dans le rang. Car bien sûr nous ne manquerons pas, dans quelques jours, de nous rendre dans ce que l’on peut assurément compter parmi les plus belles cités historiques de l’Asie Centrale.

MPI_Article Chakhrisabz_Image 1_La carte

Lorsque l’on est débarqué à Chakhrisabz on est un peu perdus. Déjà sur les derniers kilomètres, il nous était difficile de suivre notre trajet sur notre carte. La route était toute neuve, lisse telle un billard, et le bâtiment devant lequel nous sommes déposés, un bel hôtel d’affaires, nouvellement érigé. Aucun de ces éléments n’apparaissait sur notre carte, et nous ne nous raccrochons à rien.

Nous pénétrons dans l’hôtel avec au moins trois classes d’écart, la nôtre étant celle inférieure. On va à la pêche aux renseignements plus qu’à la recherche d’une chambre, car il ne faut pas être devin pour comprendre que nous n’en aurons pas les moyens, ou disons plutôt, pas l’envie. Les halls de ce genre d’hôtel permettent toujours de se rafraichir un peu, de tester des canapés en cuir, et malgré notre accoutrement, d’être traités comme si nous avions un costume et des valises à roulettes. Là néanmoins, d’accueil il n’en sera rien, car il n’y a personne. L’hôtel semble vide, mais il est bel et bien climatisé. On a vu une employée de nettoyage s’enfuir à notre arrivée, soit par peur primaire, nous ayant confondu avec des habitants d’une autre planète, soit parce que, seule survivante du lieu, elle pensait qu’elle allait devoir résoudre un nouveau problème, de surcroit en anglais. Nous lisons quelques panneaux qui indiquent des salles de conférences, puis enfin des grilles tarifaires en dollars. Ce n’est pas un palace parisien, mais ça vaut quand même le prix d’un hôtel Ibis proche de la Gare de Lyon, avec le décorum en plus. Notre certitude devient réalité, nous allons profiter encore quelques instants des lieux pour reposer de notre voiture inconfortable, avant de ressortir bredouille arpenter le grand boulevard qui se dessine devant l’hôtel.

Nous marchons donc le long de nouvelles constructions, de nouvelles routes. Tout est nouveau. Les entreprises doivent même souvent par endroit venir lever quelques réserves sur les bâtiments, les voiries ou les espaces verts. Quelques commerces sont déjà en activité, d’autres paraissent en cours d’aménagement. Mais force est de constater au fur et à mesure que nous avançons, que la ville, de par sa configuration, ne ressemble en aucun point avec ce que nous étions en droit d’attendre avec la carte et les informations de notre guide, dans lequel il était écrit : «  Cette bourgade non russifiée », « Cette plaisante localité semble ordinaire au premier abord, jusqu’à ce qu’on découvre les ruines qui parsèment les petites rues et que se matérialisent les fantômes grandioses d’un lieu totalement différent ». Si cette bourgade n’a pas été russifiée, elle a été ouzbékanisée, et il y doit bien y avoir au fond, quelques mimétismes entre ces deux actions, la seconde tentant de faire comme, avec ses moyens.

MPI_Article Chakhrisabz_Image 2_Grands Boulevards Grands Trottoirs

MPI_Article Chakhrisabz_Image 3_Grands Boulevards par le Baron

MPI_Article Chakhrisabz_Image 4_Lotissement

Cela nous rappelle Bagan, en Birmanie, en 2014. Alors que nous étions arrivés au cœur de la nuit, et après avoir évité quelques gangs de chiens errants à l’affut, dans la rue où nous étions censés trouver trois ou quatre guest house basiques, plus aucune de ces adresses n’existait. Elles avaient été rasées, avec les logements qui les entouraient, pour être remplacées par des hôtels d’un autre standing. Cela nous avait été confirmé à l’accueil de l’hôtel dans lequel nous étions allés nous renseigner, et qui nous avait accordé le droit de nous installer sur la terrasse déserte pour la fin de la nuit. Ces quelques heures non loin de la piscine et dans un cadre enchanteur avaient eu raison de nos principes de backpackers, et à 7 heures du matin, nous entrions dans notre chambre à 70 dollars la nuit ! Coup de folie que l’on peut se permettre pour un voyage de 3 semaines, plus difficile à encaisser lorsque nous sommes dans une filière plus longue, et que seul l’argent que nous possédons sur nous pourra être utilisé. Coup de folie qui s’était néanmoins avéré coup de génie, car à Bagan, sous 45°C ressenti dès 11 heures du matin, la piscine et la clim’, si c’est toujours du luxe et une hérésie écologique, cela n’est absolument pas vécu comme tel sur le moment.

Ici à Chakhrisabz, il n’est pas encore l’heure du déjeuner, mais il n’y a pas d’autre hôtel en vue, et étrangement, on ne sait vraiment pas vers où nous diriger pour trouver lieu où nous établir. Mais moins étrangement, on sait que cela allait nous occuper. Comme à chaque fois, il n’y a pas d’angoisse, ni de remords à flinguer une partie de la journée à tourner avec son sac sur le dos. Si on ne le voulait pas, on serait allé directement à Boukhara.

Nous entrons dans un snack (un vrai kebab de région parisienne, mais propre et avec trois jeunes polis et souriants). On leur explique qu’on cherche un hôtel mais que nous n’avons aucune idée d’où aller, car le grand hôtel d’en face, ce n’est pas pour nous. Tout ça se passe avec un traducteur de téléphone mobile un peu hasardeux, mais ils finissent par réfléchir à la bonne requête. Ils vont et viennent dans une cour intérieure dans laquelle ils crient en direction d’un étage. Des réponses fusent. Dans un premier temps elles doivent être du type « J’en sais rien, je suis occupée, pourquoi tu me demandes tout ça », puis rapidement un « hors de question » sans équivoque. Puis, enfin, sur un ton plus calme : « téléphone à bidule, il pourra t’aider, je crois qu’il connaît machin qui a un ami qui a un hôtel, de l’autre côté de la ville ». Le « hors de question » valait pour le fait de nous accueillir à l’étage. Ce que nous aurions tout à fait accepté vu la gentillesse des jeunes du snack, et que cela bien entendu, aurait arrêté l’épisode de la recherche.

Et finalement, d’appel en appel, au bout d’une heure, un des jeunes sort avec nous, hèle un taxi, et nous conduit devant un bâtiment lui aussi plutôt neuf, ou rien n’indique que c’est un hôtel. Puis nous demande d’attendre là. Il disparaît puis revient une dizaine de minutes plus tard avec une clé. Il ouvre le portail et nous débouchons, après un petit couloir, dans une cour intérieure où il y a quelques tables et effectivement quelques portes qui pourraient ressembler à des entrées de chambres. Il a a priori discuté le prix pour nous. C’est pile poil dans la moyenne de ce que nous avons (même si Chakhrisabz est une plus petite ville, moins côtée, mais gardons à l’esprit que les solutions sont moins nombreuses). Mais nous ne verrons personnellement personne de « l’hôtel ». Nous entrons dans la chambre et le jeune s’éclipse, sans rien demander, comme s’il ne fallait plus qu’il ne nous dérange désormais, et sans doute aussi car il avait quelques sandwiches à vendre à cette heure du jour.

Alors que faire dans cette Chakhrisabz toute neuve ? Se balader comme partout ailleurs, voire ce qu’il en est. Il en est que dans certains pays, raser des quartiers ne pose guère de problèmes. Il suffit d’envoyer des pelleteuses, en veillant tout de même à ce qu’il n’y ait plus personne à l’intérieur des bâtiments, si peu prestigieux soient-ils, qui vont être détruits. On a dû dire que l’on reconstruirait plus beau, plus grand, que l’on redonnerait de la grandeur au pays, et on a dû imaginé que personne ne pouvait s’en plaindre, bien au contraire. À vrai dire, nous ne savons pas si ici quelqu’un s’en est plaint, si quelqu’un s’en est plaint trop fort au point de connaître mésaventure avec les institutions, ou si les solutions de relogement ont su convaincre tout un chacun. À Samarcande, la solution était du même registre, mais un peu différente dans ‘exécution : on a construit un mur pour clarifier les zones. Mais impossible de ne pas avoir en tête les actes de résilience jusqu’au-boutistes en Chine, souvent peine perdue, de certains habitants avant la démolition de leurs habitations afin de libérer des espaces pour des projets d’envergure (barrage des Trois Gorges, site olympique de Pékin ; mais pourvu que jamais les hutong).

A la place de l’ancienne ville, des grands boulevards, une énorme esplanade entourée de bâtiments de petite taille mais réguliers, qui permettent finalement de faire le vide sur les monuments persistants de la ville. Parmi eux, quelques édifices remarquables. Tamerlan est en effet bien né ici, dans cette ville. A l’époque il fallait parler de Timour (son nom de naissance) et de Kech, un village non loin de la ville actuelle, et que l’on peut assimiler à. Ce bonhomme, qui ne savait pas lui-même qu’un pays allait devenir Ouzbékistan et connaître tant de fortunes politiques, à ensuite dans nos livres d’Histoire été nommé Tamerlan, qui n’est autre que la transcription de Timur Lang, soit Timour le boiteux. Boiteux peut-être, mais grand guerrier, sans équivoque et sans pitié. Il a dirigé un empire dont rêve encore Vladimir Poutine. Comme extension. Dans ce que l’on peut résumer en Perse et Asie Centrale. Tamerlan a été jusqu’en Inde, a positionné la famille sur les territoires adjacents, et a bâti à son retour les plus belles cités de l’Asie Centrale, dont Samarcande, où il avait établi capitale. Dans l’article précédent, les images du Registan lui doivent beaucoup. Aujourd’hui, Amir Temur comme les Ouzbeks l’appellent (Emir Timur, du titre qu’il avait choisi qu’on le nomme), a toujours une place très importante dans la fierté du peuple ouzbek, tout comme Ulugh Beg, son petit-fils, qui jouit post-mortem de quelques belles statues et de places à son nom un peu partout dans le pays ; et jamais des moindres.

MPI_Article Chakhrisabz_Image 5_De jets d'eau

MPI_Article Chakhrisabz_Image 6_Amir Timur en petit

MPI_Article Chakhrisabz_Image 7_Amir Timur en grand

Ici donc, la grande esplanade a pour but de mettre en valeur Tamerlan. Les ruines d’Ak Saray, sont imposantes même si finalement peu représentatives de l’édifice d’antan, tellement il n’en reste rien. Enfin juste le principal. On utilise souvent cette expression sur cette fameuse partie immergée d’un iceberg. Elle semble avoir été inventée pour ce palais. La statue de Tamerlan est sans équivoque. Il est né ici, et ça doit se savoir. Finalement, ces travaux de Registanisation ont sans doute été faits pour que la route Samarcande – Boukhara devienne Samarcande – Chakhrisabz – Boukhara. Une petite étape en plus dans le pays pour tous les touristes, on prend. Ce qui aurait du sens sur les prospectus ou les pages internet des voyagistes. Après avoir découvert sa capitale à Samarcande, direction le village natal de Timour, véritable héros du pays. Un musée pourrait être (et sans doute est-il déjà prévu) pleinement dédié à l’enfant du pays qui a, il faut le reconnaitre, su tirer son épingle du jeu. On a donc tout simplement et sans le savoir, visité le lieu incontournable d’une visite en Ouzbékistan, alors que l’on pensait au contraire sortir de l’autoroute pour prendre la départementale.

MPI_Article Chakhrisabz_Image 8_Open Air

MPI_Article Chakhrisabz_Image 9_Dans les petits buildings

Après cette marche à travers les nouveaux espaces qu’on a voulu offrir aux futurs visiteurs, il nous est apparu que nous n’étions pas très loin du snack de nos bonnes âmes de la mi-journée. Et si nous passions les voir, pour boire un rafraichissement dans leur établissement ? A notre arrivée, quelques rires : tout le monde allait bien. On s’enquiert de nos destinées respectives. « Alors comment ça va ? ». « Et l’hôtel ? ». « La viande est prête ? ». « On boit un coup ? ». On prend une grande bouteille de Pepsi dans le frigo, et on sert quelques verres. On nous invite à visiter. Par la cour, on monte à l’étage duquel le « hors de question » avait été adressé plus tôt dans la matinée, comme sentence indiscutable. On y découvre deux jeunes femmes en legging qui animent un cours de fitness un peu comme elles peuvent, les quelques élèves étant disposées dans les maigres espaces concédés par les machines de tortures que sont celles qui doivent vous faire gonfler les muscles, à d’autres séances. Elles semblent autoritaires comme il se doit pour convaincre à l’effort, et on les imagine très bien répondre « J’en sais rien, je suis occupée, pourquoi tu me demandes tout ça », alors qu’elle tiennent une position de gainage devant leurs élèves. La famille qui tient cette multi-activité a en tout cas le meilleur business plan du monde. Kebab au rez-de-chaussée, salle de fitness à l’étage : l’un engraisse, l’autre dégraisse, et donne faim.

Et c’est avec cette histoire sans intérêt que nous allons ici conclure. Nous avons par la suite mangé un bon sandwich, et repris notre marche le long des boulevards de Chakhrisabz, en direction de notre logement. Une piaule de rez-de-chaussée, coincée derrière une porte cochère. Un petit espace, neuf et froid, sans grand intérêt, mais dans lequel nous ne regrettons pas du tout d’avoir posé nos sacs. Du simple fait de comment nous l’avons trouvé, et du fait tout aussi simple de n’avoir rien fait d’incroyable, tout en ayant vu ce qui devrait devenir un must-see de l’Oubzbékistan (et l’est déjà certainement devenu vu le temps que nous mettons à rédiger nos articles). Aussi, nous ne regrettons rien de Chakrisabz. Déjà, ce voyage interdisait les regrets, et autorisait les mauvais choix (sans dire qu’il les encourageait). Mais même au-delà de ce principe, nous n’avions pour l’occasion rien à regretter du tout de Chakhrisabz, bien au contraire. Une ville simple, qui nous rappelle notre banlieue, mais avec un monument survivant au bout d’un parc. Les banlieues ont des histoires quand même, et on peut les voir encore parfois. C’était donc agréable et sans pression. Et surtout nous ne regrettons rien car l’article qui suit vous détaillera précisément ce pourquoi aussi nous voyageons, en évoquant cet itinéraire bis entre Samarcande et Boukhara, en se concentrant sur la route, plutôt que sur nos errements urbains.

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