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Moscou - Pékin - Istanbul : 8 pays, 25.000 km à travers l'Asie
12 novembre 2016

Kachgar, en République Populaire de Chine

Notre arrivée à Kachgar marque notre retour à une certaine liberté. Plus de billets de train réservés d'avance, pour nous faire avancer. Cependant, l'unique poste frontière que nous pouvons emprunter pour entrer au Kirghizstan est fermé le week-end. Nous devons quitter le pays avant le vendredi, faute de quoi nos visas seraient expirés et nous serions irréguliers en Chine, qui plus est dans le Xinjiang, une aventure que nous ne nous risquerions pas à vivre. Nous avons donc trois jours pour découvrir ce qu'est devenue cette ville mythique, gardienne de tant de secrets et évocatrice de tant de légendes, que l'on s'imagine aspergée de parfums de dattes fraiches et balayée par les effluves si caractéristiques de chameaux marchant en direction de caravansérails tout proches.

Mais. Mais comme pour toutes ces villes mythiques, systématiquement, l'histoire se heurte à la vie qui fait changer. Les scooters crapotent d'autres senteurs. Par endroit, les canalisations rotent des problèmes intestinaux. Les transformations subies dissimulent ou font disparaître les traits qui suscitent les fantasmes des Hommes. Physiquement Kachgar a changé et change encore. Aujourd'hui, une partie de Kachgar est neuve et sans charme, semblable à toute ville moyenne lambda, une autre est neuve et tente de conserver le caractère de ce qu'elle a été, à coup d'artifices peut-être mais le résultat n'est pas si mal, tandis qu'une troisième partie, désormais toute petite, un peu à l'écart du centre, se meurt, dans une indifférence totale. La vieille Kachgar, ou tout du moins la dernière partie de cette Kachgar historique, est à l'abandon. Elle est en train d'attendre de ne plus être. Dans un silence de ville désertée, les murs tombent. Seule l'absence d'impact de balles nous fait comprendre que cela n'a pas été la conséquence d'une longue guérilla. Simplement un quartier petit à petit vidé de ses occupants, par négligence réfléchie, dans le but de mieux reconstruire.

Quelques touristes croisés plus tard sur la route et qui avaient été au cours d'un précédent voyage, plusieurs années en arrière, à Kachgar, se trouvèrent désolés que nous leur annoncions que, sans doute, cette dernière partie de la vieille ville allait connaître le même sort que les parties déjà rénovées, il est vrai parfois à la va-vite, mais en version moderne. Si on avait eu une feuille sur nous à ce moment-là, on aurait pu sans problème leur faire signer une pétition, contre la destruction de la vieille ville. D'un point de vue purement touristique, il est vrai que les vieilles villes conservées ont un peu plus de cachet, celui que l'on vient chercher si loin, que ces façades lisses et refaites avec une volonté tiède de ressembler à l'avant, parfois faute de moyen. Mais pour les gens qui y vivent ? Les utilités, la salubrité, la sécurité ne sont-elles pas à assurer ? Les villes ne doivent-elles pas changer avec leur temps ? Doit-on demander que l'Afrique reste en case ? Les esquimaux en igloo ? Sur le Tour des Annapurna, au Népal, j'avais rencontré un marcheur qui avait déjà fait le trek quinze ans plus tôt, alors qu'il n'y avait pas encore la route entre Muktinath et Kalika. Il m'avait fait part de son énervement. Il fallait aujourd'hui marcher sur quatre étapes du retour, par moment, le long de cette piste où ne circulent que quelques véhicules par jour. Comme si pour le plaisir de quelques (milliers de) marcheurs blancs et jaunes qui viennent quelques mois par an faire le tour de belles montagnes, les habitants des quelques villages le long du chemin n'avaient pas le droit à l'accès aisé, au transport rapide, au progrès, et devaient continuer ad vitam aeternam à se taper quatre à cinq jours de marche pour sortir de leur vallée ! Cette vision m'avait moi aussi, passablement énervé. Kachgar doit vivre avec son temps si c'est pour son mieux, et tant pis pour ceux qui viendront la voir plus tard en pensant arriver dans un musée. Le temps passe et doit passer pour le bien des Hommes.   

Ici à Kachgar, l'Asie commence déjà à être centrale. De par les Hommes d'abord. Pékin y ayant autorité, bien que la province bénéficie d'un statut « d'autonomie », les institutions chinoises sont toutes là (banques, poste, hôpital public, etc.) et les chinois sont dans les institutions. Les chinois, nous voulons dire les Hans. Les policiers et les employés sont Hans, les balayeurs et les artisans Ouïghours. La proportion est pour le coup, et sans exactitude statistique aucune, inversée, par rapport à Ürümqi. Mao, piédestalisé sur le grand parvis de la place du peuple, avec sa figure de bon père de famille et sa main précisant la direction à suivre, rappelle cependant que nous sommes encore en République Populaire de Chine, alors que le parc d'en face donne l'ombre aux descendants de toutes les tribus qui portent fièrement la calotte et qui, venant de l'ouest, commerçaient dans le coin quelques siècles plus tôt.

Kachgar est la ville la plus occidentale de Chine. Géographiquement. Elle est en effet plus proche de Téhéran, la capitale iranienne, où nous terminerons notre voyage plus de deux mois plus tard, que de Pékin que nous avons quitté il y a trois semaines seulement. Si l'heure officielle est celle de Pékin, on applique ici deux heures de décalage. Nous sentons que notre voyage avance, que nous revenons vers chez nous, et que, avec ce visage de Kachgar différent de ce que nous avons connu de la Chine, oui, nous sommes aux portes de l'Asie centrale. Le Bazar ressemble à ceux que nous verrons plus tard, la vieille ville nouvelle est calme, moins dense que toutes les villes que nous avons traversé jusqu'alors, le mausolée d'Abakh Hoja calqué sur les merveilles d'Ouzbékistan et d'Iran, un petit jardin paisible, les vendeurs sont les voisins. Nous sommes dans un grand village, aux confins d'un grand pays qui de par le jeu des conquêtes englobe une région qui ne ressemble pas aux autres.

Kachgar était donc notre dernière étape en Chine. Nous nous retrouvons, ville calme aidant, dans une cellule de décompression, comme à chaque fois avant de quitter un pays. C'est toujours le moment où l'on se pose, et au lieu de préparer la suite, outre les quelques détails pratiques, on fait des bilans presque sans le vouloir. Dans la cour de notre auberge, havre de la baba cool attitude en République Populaire de Chine, couchés sur des nattes, on raconte nos histoires d'avant et on entend un peu de nos histoires d'après, contées par les quelques voyageurs venus en sens inverse. On se rend compte que si l'on est contents de continuer notre route après cette Chine, on a été ravis de la traverser, et on en part parce que l'on doit.

Juliette avait des aprioris avant d'entrer dans le pays. Elle ne savait pas trop à quoi s'attendre, et quand elle en parlait, il y avait plus de craintes et de désintérêt que pour les autres pays de notre route. Quand on avait construit notre itinéraire, on avait prévu d'aller assez vite en Chine, d'ailleurs. Un peu moins de trois semaines. Au final, nous sommes à la toute fin de notre autorisation de cheminer, presque un mois après notre entrée depuis la Mongolie. Et pendant ce mois, nous n'avons jamais eu envie d'accélérer. Nous avons pris du plaisir à chaque minute ou presque. J'ai retrouvé pour ma part le bonheur de voyager en Chine, un pays dans lequel il nous reste tant à découvrir. Maintenant que nous savons comment la suite s'est passée, je peux confirmer que cela m'a fait plaisir de passer un moment plus long que prévu ici. Même si ce passage en Chine était un peu plus contraint par la saison et l'itinéraire que pour mon précédent parcours, que tout a été un peu plus facile, un peu moins spontané, un peu moins aventureux, il n'en reste pas moins qu'il fait partie des passages que nous avons aimé de notre voyage. Nous y retournerons très vraisemblablement, en Chine, mais ciblerons une ou deux provinces seulement, et une période un peu plus creuse, cela va de soi. Et, vu la position de Kachgar, il est peu probable que nous y repassions de sitôt, qu'elle soit sur un de nos prochains itinéraires. Mais elle mérite d'être sur l'un des vôtres, quelques soient les changements à venir. Kachgar restera Kachgar, parce que nous en sommes convaincus, ce sont les Hommes qui font avant tout les villes.   

MPI_Article Kashgar_Image 1_Kashi Bazar 1

MPI_Article Kashgar_Image 2_Kashi Bazar 2

MPI_Article Kashgar_Image 3_Kashi Bazar 3

MPI_Article Kashgar_Image 4_Kashi Bazar 4

MPI_Article Kashgar_Image 5_Sur le parvis

MPI_Article Kashgar_Image 6_Sur les marches

MPI_Article Kashgar_Image 7_Kashgar street 1

MPI_Article Kashgar_Image 8_Kashgar street 2

MPI_Article Kashgar_Image 9_Kashgar street 3

MPI_Article Kashgar_Image 10_Kashgar street 4

MPI_Article Kashgar_Image 11_Kashgar street 5

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MPI_Article Kashgar_Image 14_Kashgar street 8

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MPI_Article Kashgar_Image 16_Kashgar street 10

MPI_Article Kashgar_Image 17_Kashgar street 11

MPI_Article Kashgar_Image 18_Dans le parc

MPI_Article Kashgar_Image 19_Mao du peuple

MPI_Article Kashgar_Image 20_Old Kashgar 1

MPI_Article Kashgar_Image 21_Old Kashgar 2

MPI_Article Kashgar_Image 22_Old Kashgar 3

MPI_Article Kashgar_Image 23_Old Kashgar 4

MPI_Article Kashgar_Image 24_Mosquée Hoja

MPI_Article Kashgar_Image 25_Nos gueules avant de quitter la Chine

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