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Moscou - Pékin - Istanbul : 8 pays, 25.000 km à travers l'Asie
10 mai 2018

Karakol & Pristan

Comme l’article précédent a été beaucoup trop long*, à l’image de la deuxième journée de la rando qu’il a voulu décrire, sur celui-ci on a essayé d’être plus concis. On ne va pas trop s’étaler sur Karakol et Pristan maintenant, mais on en reparlera un peu plus tard, notamment dans un article consacré à un nouveau passage sur Bichkek, et qui mélangera pas mal de choses.

Après ces deux jours et demi passés dans la montagne, nous regagnons Karakol, si ce n’est à bout de souffle, avec l’envie de souffler. Nous sommes accompagnés de Guilhem et Caroline, avec lesquels nous avons fait la dernière étape. Eux, bien organisés, avaient réservé dans le même logement qu’avant la folle expédition. De notre côté, l’auberge où nous avions passé deux nuits avant notre départ était relativement sommaire et nous nous étions dit qu’après cette petite escapade dans des conditions précaires, nous nous autoriserions à ne pas trop regarder le budget couchage pour une nuit. Si l’auberge était vraiment peu chère, qu’est ce qu’elle était pourrie. Après tant d’efforts, il fallait quand même que nous puissions prendre une bonne douche. Nous nous étions dit aussi qu’une bonne nuit nous donnerait de bonnes idées pour la suite. Nous avions vu que la ville accueillait quelques nouveaux établissements flambant neufs, lesquels cassaient les prix pour se lancer. Nous nous séparons donc dans le centre, en se disant que peut-être ce soir nous serions dans les quelques cantines le long de Toktogula.

Le soir, tout le monde devait être bien fatigué. Nous sommes allés faire un tour rapide pour manger quelques pelminis, mais nous ne les avons pas retrouvés. Ils sont peut-être venus un peu plus tard nous étant partis trop tôt, ou bien même ils étaient morts crevés ce qui se comprend parfaitement. Les rencontres et les bouts de chemins se finissent souvent comme cela, sans qu’il ne puisse y avoir déception aucune. C’est la vie de la route, la précipitation dans laquelle elle vous pousse, la liberté qu’elle offre de venir ou ne pas venir à ce qui n’était pas un véritable rendez-vous, la volontaire imprécision des informations que l’on se donne, pour que le destin joue encore son rôle. Et, à l’inverse, c’est aussi lorsqu’on ne se dit rien que l’on se retrouve, parfois à des centaines de kilomètres, plusieurs semaines plus tard.

Karakol est la quatrième ville du pays, forte de ses 65 mille habitants, mais clairement le grand centre de l’est. Elle est flanquée pas tout à fait sur la rive, mais à deux dizaines de minutes en marshroutka d’une des pointes est du lac. Il ne s’y passe a priori strictement rien, et le bazar n’est même pas effervescent. Karakol attire pourtant de nombreux voyageurs car c’est un camp de base pour les expéditions plus ou moins ambitieuses en montagne, dont la désormais célèbre randonnée d’Ala-Koul.

MPI_Article Karakol Pristan_Image 1_Karakol suroundings

Karakol est une ville qui ressemble à un village étendu qui a quand même une université. La ville n’est pas désagréable pour autant, malgré le fait qu’il n’y ait pas grand-chose à faire. C’est le rythme lent de Bichkek mais à la campagne, et on vous a dit qu’on aimait. La seule différence, c’est que le soir tombé, les quatre restos qui veulent faire croire que c’est la fête avec des sonos tonitruantes sont vides, et que les autres sont surpris de devoir relancer la cuisine quand vous arrivez. Quelques nouveaux entrepreneurs tentent d’imiter les bonnes recettes de la capitale, avec des restaurants confidentiels se voulant branchés sans trop y croire, servant surtout de très moyennes pizzas et de mauvais hamburgers, mais avec pourtant un service aux petits oignons.

À part l’université, il y a aussi à Karakol une cathédrale orthodoxe en bois, très jolie mais qui fait penser à ces petits modèles réduits faits d’allumettes, des rues encore plus tristes qu’ailleurs, véritable partage entre avenues de Prypiat et pâturages, un bazar nonchalant, des vendeurs en guitoune déprimés qui se font face, des supérettes à moitié vides, tout comme les restaurants. Seul Lénine, sur des bronzes placés à bonne hauteur, buste en avant, bras lancé vers le futur, regard sûr et optimiste, semble avoir encore un peu d’énergie et de conviction. La ville est triste, vide et semble arrêtée on ne sait pourquoi ni depuis combien de temps. On aimerait penser que cela est dû au mois d’août. On sait que ce sont les vacances scolaires ici aussi. Mais on ne mettrait pas notre main à couper que ce soit beaucoup plus vivant les autres mois de l’année.

MPI_Article Karakol Pristan_Image 2_Karakol paturages

MPI_Article Karakol Pristan_Image 3_Karakol Wood Church

MPI_Article Karakol Pristan_Image 4_Karakol Wood church 2

MPI_Article Karakol Pristan_Image 5_Karakol street

MPI_Article Karakol Pristan_Image 6_Karakol Guitoune

MPI_Article Karakol Pristan_Image 7_Karakol Ad

MPI_Article Karakol Pristan_Image 8_Karakol university

MPI_Article Karakol Pristan_Image 9_Karakol standard

MPI_Article Karakol Pristan_Image 10_Karakol grandfather

Mais on ne peut limiter Karakol à ses seules frontières administratives. Sa petite sœur, Pristan, est pour ainsi dire le quartier balnéaire de Karakol. Cette localité gît en extrême partie orientale d’une long bras de lac, générant le sentiment d’une petite crique abritée de tout. Car si l’on pense à Karakol, on pense aux montagnes oui, quand on est touriste trekkeur, (à l’université quand on est jeune kirghize et qu’on n’a pas dû avoir de place à Bichkek), mais surtout au lac quand on est kirghize de tout âge. Cette proximité avec Pristan et donc avec le lac, est un atout certain pour la ville.

La plage de Pristan, et à vrai dire le village tout entier, ramènent dans ce que notre imaginaire se représenterait volontiers à l’évocation de l’URSS des années soixante-dix. Avec ces petites isbas, avec ses deux grandes grues rouillées, avec ses mémés en maillot d’un autre temps et ses manèges faits-à-la-maison qui grincent, son cimetière sorti tout droit d’un film de Sergei Loznitsa. (Tim Burton ça marche aussi, si Télérama ne dicte pas vos soirées ciné). Mais en ce plein mois d’août, frappée par le soleil, Pristan donne envie de se jeter à l’eau, de se rafraîchir dans les eaux plus ou moins claires du lac. En kirghize, le lac Issyk-Koul veut dire le lac chaud. Mais même en plein été, les eaux sont tout juste assez chaudes pour un gars qui n’est pas du coin. Mais ce sont les vacances, et ça fait du bien.

La localité de Pristan abrite également le musée Prjevalsky. Culture oblige, nous n’avons pas manqué à notre devoir, et avons déambulé entre les vitrines, les empaillements, les cartes 3D en papier mâché de l’époque, les dessins et copies de diplômes d’honneur du bonhomme. Prjevalsky, avant d’être le nom d’une race de chevaux, c’est avant tout un explorateur au service des Tsars Alexandre II puis III, qui avait un goût absolu de l’Asie Centrale, de la Mongolie, des déserts de l’ouest chinois des Ouïghours et des hauts plateaux tibétains. Il a mené plusieurs grandes expéditions sur ces terres, tant dans des conditions climatiques que politiques difficiles, entre neige et grandes chaleurs, entre millefeuilles de royaumes ou assimilés en conflit et armées sanguinaires venant à sa rencontre. Entrer dans la demeure qui lui fait honneur est donc absolument indispensable pour nous rappeler que nous ne sommes que de touts petits voyageurs de rien du tout, à la limite du vacancier, par rapport à ce mec, un des touts grands découvreurs que notre Monde ait connu. Ses cartographies, recueils de botaniques, découvertes de nouvelles espèces de la faune, lui ont permis une reconnaissance des grandes sociétés de géographie, des distinctions étrangères telles que celle du Ministère français de l’Instruction publique, des Cultes et des Beaux-Arts. Chapeau. Mais Prjevalsky avait quand même un petit côté impérialiste-annexeur de territoires, en tout cas dans ses idées ; on a tous des petits vices, et puis c’était l’époque hein, de parler de sauvages à tort et à travers. Si on donne mausolée à Prjevalsky ici, c’est que, n’étant pourtant pas originaire de la région, il l’aimait bien. Il en faisait un camp de base régulier pour démarrer ses expéditions. Alors qu’il voulait de nouveau retenter la route vers Lhassa, l’histoire s’arrête avec un typhus pas piqué des hannetons à quelques jours du départ.

MPI_Article Karakol Pristan_Image 11_Pristan beach 1

MPI_Article Karakol Pristan_Image 12_Pristan beach 2

MPI_Article Karakol Pristan_Image 13_Pristan beach 3

MPI_Article Karakol Pristan_Image 14_Pristan beach 4

MPI_Article Karakol Pristan_Image 15_Pristan on the shore

MPI_Article Karakol Pristan_Image 16_Pristan valley

MPI_Article Karakol Pristan_Image 17_Pristan House

MPI_Article Karakol Pristan_Image 18_Pristan isba and isba

MPI_Article Karakol Pristan_Image 19_Pristan cemetery

MPI_Article Karakol Pristan_Image 20_Prejvalsky museum

C’est dans cet univers du couple Karakol-Pristan que nous sommes restés au final quatre jours. Quatre jours d’abord parce que nous aimons ce genre d’endroit. L’ensemble de l’article ne pousse pourtant pas à prendre un billet pour le Kirghizistan et faire deux semaines d’Airbnb à Karakol, nous en convenons. Mais en fait, nous devons signaler par nos écrits la vérité sur les lieux, en restant le plus factuel, le plus journalistiquement factuel si cela existe, puis dans un deuxième temps, éventuellement donner notre ressenti. Et nous ressentons du calme dans ce genre d’endroit. Ce sont des fenêtres de quiétude obligées entre les expéditionnettes et les longs trajets. Ce sont des vacances au cœur de notre voyage. Le lac Issyk-Koul est après tout le lieu de villégiature de la classe moyenne kirghize, sans parler de la classe supérieure. Alors pourquoi ne pas se fondre dans le décor, et faire quelques allers-retours entre la ville et la plage.

Et puis, si nous sommes restés quatre jours, c’est que nous avions quand même quelques petites choses à faire. C’est qu’au départ, il y a déjà eu un jour de préparation de la rando (voir notre escapade du précédent article), un demi-jour de repos après la rando, où nous sommes retournés à la plage de Pristan que nous avions découverte à notre premier jour, parce que nous baigner dans l’Issyk-Koul ça nous donnait tellement envie après trois jours là-haut, un jour ensuite à cause de deux putains d’œufs au plat, un peu trop coulants pour penser que ça aurait pu passer, deux putains d’œufs qui nous ont contraints au seul arrêt médical du voyage, ce qui reste tout de même un bilan convenable, et enfin, un jour pour rester tranquilles, penser calmement à la suite, sans se presser, et parce qu’on n’avait finalement pas envie de reprendre la route tout de suite. Juste dire que ces deux œufs de malheur auront un impact sur nos rencontres futures. Car le destin, oui, a sa place, dans un voyage au long cours. 

 

* «Sur Internet, dès que t’écris plus de trois lignes, t’encules les mouches » - V. Despentes, Vernon Subutex - Tome 2. (Cité de mémoire).

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