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Moscou - Pékin - Istanbul : 8 pays, 25.000 km à travers l'Asie
30 août 2016

Pékin, la folie du grand nombre

En une semaine, on n'aura pu s'assoir qu'une fois dans le métro, que nous prenions pourtant plusieurs fois par jour. On a essayé. On a essayé nous aussi d'être dans la lutte. Mais on n'était pas au niveau. Pas bien positionnés. Pas prêts. Pas connaisseurs des destinations des gens en fonction de leurs tenues vestimentaires ou du jeu qu'ils jouent sur leur smartphone. On était toujours dans la masse dans les sous-sols de Pékin, et peut être même un peu trop au milieu de la masse. Et revenus à la surface et dans les niveaux supérieurs, ça n'allait pas forcément mieux. Mais comme il y a toujours un « mais » pour faire une histoire, on va vous expliquer pourquoi Pékin fut une expérience que l'on a adorée malgré certains des éléments qui vont suivre.

MPI_Article Pékin_Image 1_Pékin, la folie du grand nombre

Tout avait commencé à la gare, dès nos premiers pas sur le sol chinois. Avec ce parvis que vous avez pu distinguer dans l'article Le dernier tronçon. Le lendemain, arrivés à la place Tien'Anmen pour le rendez-vous que nous avions fixé avec nos potes chinois, impossible d'être déçus. Du monde nous en avions voulu avec cette invitation lancée comme pour demander de l'air : et bien nous l'avons maintenant. Au centuple. Du monde en veux-tu en voilà. Partout. Guidés dans des corridors qui deviennent files d'attente. Quand il y a du monde au supermarché, il faut attendre à la caisse. À Pékin, il faut attendre pour tout. Ici aux abords de la place, attendre pour rentrer sur la place. C'est qu'il y a des contrôles de sécurité partout. Ça n'aide pas, ajouté au grand nombre. Contrôle X-ray des sacs de chaque personne voulant se rendre sur la place. Contrôle de la pièce d'identité. Détection de masse métallique. C'est comme prendre un avion, rentrer sur la place Tien'Anmen. Puis attendre encore pour passer par le tunnel à sens unique prévu pour traverser. Là, attendre que la file avance. Les files, il y en a donc partout. Elles commencent tellement loin, qu'on ne sait même pas où elles mènent, et pourquoi elles font attendre. Parfois elles se croisent. Parfois elles serpentent, pour pouvoir accueillir le monde qui veut attendre. Elles serpentent pour faire tourner le soleil autour des gens qui attendent, pour ne pas leur brûler qu'un côté. Encore que les chinois, ils sont équipés. K-way et parapluie, masque anti-soleil, manches longues et gants. Ils peuvent attendre tranquilles, ils ne vont pas être brûlés le moins du monde. Mais pourtant qu'il fait chaud dans ces files d'attentes. Et partout dans Pékin. Il fait lourd. Il n'y a pas d'air. Et comme on attend, on ne marche pas, et donc on ne se fait pas d'air. C'est un cercle vicieux qui fait transpirer rien qu'en étant juste dehors à rien faire, si on considère qu'attendre c'est ne rien faire. Mais on a aimé Pékin, oui, parce qu'après n'avoir vu personne ou presque pendant notre séjour en Mongolie, après avoir eu froid de cette solitude, la chaleur de la ville, mélange de climat et de dégagement d'une réaction en chaîne humaine, nous a fait énormément de bien. Nous étions dans un gros bouillon pour notre retour sur Terre.

MPI_Article Pékin_Image 2_Un parvis de gare

MPI_Article Pékin_Image 3_Le véritable serpent chinois

MPI_Article Pékin_Image 4_Le tout début d'une file

MPI_Article Pékin_Image 5_Juste pour un ticket de train

Souvent, après une file, même après s'être fait dépasser par le chinois qui bien qu'habitué à faire la file n'arrive toujours pas à en suivre la première règle, c'est-à-dire rester derrière celui qui est arrivé avant, on arrive quand même à voir quelque chose : la guichetière pour les tickets de métro, puis la rame de métro, puis la guichetière d'un site touristique, enfin un temple tout plein de chinoiseries, et puis si on est arrivé jusque là, une vue sur la ville plombée de gris depuis la tour d'un temple.  Après l'attente, il y a donc en général toujours quelque chose. À Pékin, ça se passe un peu comme les vagues, il y en a toujours une qui suit. Mais au final il faut considérer qu'on est là pour s'amuser à sauter dans les vagues, et que si on voulait être tout seuls on avait qu'à rester en Mongolie, mais ça va bien merci, on ne se fout ni de la charité ni de l'hôpital, et donc on saute contents de site en site.

MPI_Article Pékin_Image 6_Mao te regarde

MPI_Article Pékin_Image 7_Le temple de la bonne moisson

MPI_Article Pékin_Image 8_Une vue d'en haut

MPI_Article Pékin_Image 9_Une vue d'en haut 2

Les seuls endroits où, si l'on n'a pas choisi les lieux trop courus, il ne faut pas attendre, ce sont les restaurants. Il y en a partout car les chinois, ils peuvent manger à n'importe quelle heure. Et puis, ils mangent, ils mangent et ils mangent, si bien que le restaurant est devenu un gros business, tout le monde a ouvert le sien, mais tout le monde va manger dans celui du voisin. On est des petites frappes nous, avec nos assiettes travaillées et nos portions pour gringalets qui arrivent dans cette petite succession entrée-plat-dessert. Eux, ils se la mettent comme il faut. Et vas-y que je te commande dix plats si bien qu'on sait plus où les mettre sur la table, que j'en laisse la moitié en me contrefoutant du gâchis, que je finisse au ras-bord, titubant, infarctus à la porte, que je commande douze bières en même temps, pour bien les montrer à tout le monde, en les laissant au pied de ma table tout du long de mon spectacle de grand schloupps parce qu'en plus il faut que je fasse grand bruit, et puis si les bières elles deviennent chaudes entre temps, c'est pas bien grave, faut que ma table elle claque, et qu'elle s'entendent de loin.Et tous ces mets criaient des choses nonpareilles / Mais nom de [Lao-Tseu] ! / Ventre affamé n'a pas d'oreilles / Et les [chinois] mastiquaient à qui mieux-mieux*. Et des serveurs dans tous les sens pour me servir. Faut pas que j'attende. Toute la journée déjà mais pas pour le boire et le manger, pour Confucius ! Les serveurs donc, ils sont tellement nombreux eux aussi, que malgré le nombre de commandes lancées à la seconde, et bien devinez quoi, ils attendent, parce que pour certains ce sont les collègues qui bossent, ou alors peut être quand même à tour de rôle. Mais que c'était bon de se retrouver dans cette énergie pantagruélique à Pékin. De se retrouver avec des bons plats après notre mois de chèvre matin, midi et soir, mauvaise prescription. D'avoir un menu aussi épais qu'un dictionnaire Junior et dans laquelle à chaque page quelque chose nous donnait envie. Rien que pour les repas et les ambiances de fête que chacun donne à sa table dès lors que les convives ne sont pas rivés sur leur téléphone, nous étions contents d'être à Pékin, dans ces rues où les enseignes clignotent avec des gros canards eux aussi contents, et où les lanternes tentent de rappeler un passé. Alors, nous aussi, nous avons commandé des monceaux de plats, avec pour excuse de devoir goûter à tout : kung pao chicken, canard laqué, raviolis fourré à tout, soupes de noodles, légumes croquants, brochettes épicées de gras, de peaux, de j'en passe et des meilleures et autres festivals de saveurs revigorantes et qui donnent chaud. Mais très vite, on a compris que nous n'arriverons pas à rivaliser avec ces estomacs de chinois. Tout juste à essayer de reproduire leur bruit d'aspiration et de mastication pendant quelques secondes. Parfois nous rentrons au bord du malaise, plus le courage de rien, si ce n'est d'aller s'affaler sur un lit. Mais alors que repus, longeant de toujours longues avenues, les restaurants qui les bordent nous en remettent une louche avec toutes sortes d'odeurs s'échappant sur notre passage.

MPI_Article Pékin_Image 10_Les enseignes

MPI_Article Pékin_Image 11_Les enseignes 2

MPI_Article Pékin_Image 12_Les enseignes duck

MPI_Article Pékin_Image 13_Sous les enseignes

Tout ce climat du nombre doit également être expliqué dans le contexte du temps, de la météo. Les éléments n'ont aucune influence sur les sorties du chinois. Nous sommes à la veille de notre départ de Pékin, et, comme la vieille, il y avait trop de monde pour l'atteindre, nous nous levons très tôt cette fois-ci, pour espérer avoir un billet à la Cité Interdite. À peine arrivés dans l'enceinte, alors que nous nous apprêtions à faire la file pour acheter nos billets, des trombes d'eau se déversent. La visite se fera au pas de course, avec un parapluie que nous achèterons à la volée à un vendeur bien malin, qui de toute façon les vend qu'il pleuve, fasse gris, ou ensoleillé. On peut dire que l'on commence à se siniser un peu. Mais pas tant que ça en fait. Nous ne parvenons pas à nous satisfaire, ni même à nous accommoder de la masse, de la course, de la lutte des parapluies et des selfies face aux monuments (c'est-à-dire sans même les avoir derrière soi, donc autant rester dans son salon) dans les lieux de visite. Au final, et même si les amateurs du Guide Vert penseront que c'est dommage, on est presque plus souvent captivés par les touristes (à 999 ‰ chinois) que par les monuments. Pour nous, les touristes chinois donnent à titre individuel ou collectif, bien des raisons de leur prêter attention.

MPI_Article Pékin_Image 14_Cité interdite Parapluies autorisés

MPI_Article Pékin_Image 15_Cité interdite Parapluies autorisés 2

MPI_Article Pékin_Image 16_Cité interdite Sortie conseillée

MPI_Article Pékin_Image 17_En mode selfie

À Pékin, on a même dû attendre pour partir de la ville ! Imaginez si on arrivait à faire ça à Paris. Comme ça serait bon pour l'économie. Enfin de temps en temps on y arrive, parce que les gars d'Air France quand ils veulent plus voler ou que les contrôleurs aériens ils veulent plus contrôler, et ben ça ils l'ont bien compris, ça fait attendre les gens. C'est peut-être un coup du ministère du tourisme alors ? Ma théorie du complot sur notre attente à Pékin : comme par hasard, la veille du jour où nous devions partir, il se mit à pleuvoir très fort. Ça avait commencé à la Cité interdite en fait. Et puis ça avait continué après. Toute la journée. Comme pour nous envoyer dans les musées chers de la ville, mais c'était un mauvais calcul parce que les files d'attente aurait été longues et donc forcément sous la pluie, puisque les chinois ça les décourage pas vraiment puisqu'ils sont équipés pour le soleil ou pour la pluie de la même manière. Nous, on n'a plus rien fait. Enfin, on a attendu à notre auberge, pour ne pas encourager le scénario du complot. Le lendemain, jour de notre train qui devait partir en fin d'après midi, c'était la même en couleur, mais peut être encore plus coloré. À l'heure de partir de notre auberge, soit trois heures avant notre train, c'est la mission poncho et gros sacs pour affronter le déluge. C'était d'un pratique dans le métro. Arrivés à la gare ouest, c'est la cohue parce que là aussi tout le monde attend pour sortir parce qu'il pleut trop fort. Quand on arrive à s'extirper en bousculant les mémés et les enfants, avec nos gros sacs qui s'avèrent être une arme utile dans ces situations, et parce qu'on n'avait pas d'autre choix, on apprend que notre train est annulé. À cause de la pluie ! Ils ont poussé le bouchon trop loin là, les gars. Pour se faire rembourser le ticket : il faut attendre quatre heures ! Pour en racheter un nouveau : une heure trente ! Pour pouvoir enfin partir de la ville : trois jours ! Et tout ça pour récupérer les dernières places en hard seat (la quatrième classe) du train le plus lent. Bien sûr, tout était complet pour les autres trains. Tu crois que tu peux te pointer à la gare avec tes bagages et acheter ton ticket à la borne ? Mais t'es à Pékin, mon gars, en plein mois de juillet ! T'as rien compris ! Mais comme ça fait quatre jours qu'on attend, on est habitué, et ça nous fait pas peur d'attendre trois jours de plus ! On pourrait même aller pêcher. Et on a aimé ça à Pékin, avoir trois jours de plus pour profiter encore de la ville dans laquelle nous nous plaisions, et surtout pour prendre le temps de faire quelques petites choses pour lesquelles le temps nous avait manqué jusqu'à ce faux départ.

MPI_Article Pékin_Image 18_Equipements

MPI_Article Pékin_Image 19_Partie de pêche

A vrai dire nous avons aimé aussi les contradictions de Pékin. La fameuse foule d'un côté et le calme des hutongs de l'autre. Les hutongs, c'est un des éléments constitutifs de l'entité pékinoise avec entre autre le canard laqué. Ce sont de petites rues longues et quadrillées, souvent maintenues à l'ombre (quand le soleil a réussi à percer le voile gris) par de petits arbres qui laissent tomber des petites feuilles blanches, grisées sans doute par les échappements. Les ruelles sont si étroites qu'une voiture a du mal à croiser un deux roues. Les habitats y sont bas et dissimulés derrières des murs. Des toilettes publiques qui les jalonnent, une odeur acre se dégage. Dans ces quartiers historiques, les habitants n'ont pas tous, alors même qu'ils sont aujourd'hui entourés par de grandes avenues aux enseignes internationales et aux banques chinoises pour le développement, de réseaux d'eaux usées dignes de ce nom. On voit régulièrement les gens, alors qu'il est l'heure du coucher, se diriger en pyjama vers les toilettes les plus proches. Comme au camping. Comme au camping d'ailleurs lorsque les interminables parties de Mah-Jong, prennent place dans la ruelle, sur une table plastique pliante. Les hutongs, qui peu à peu perdent malgré tout du terrain au profit de quelques projets immobiliers restent pour autant toujours des quartiers vivants, agréables à traverser, sans doute à vivre même si les agencements doivent être pour la plupart anciens, petits. Il y a une vie de quartier, voire même de rue. Et nous avons aimé y vivre, nous y promener et nous y restaurer pendant notre semaine à Pékin.

MPI_Article Pékin_Image 20_Pékin aussi, dans les hutongs

MPI_Article Pékin_Image 21_Hutong 2

MPI_Article Pékin_Image 22_Dans les hutongs 3

MPI_Article Pékin_Image 23_Dans les hutongs 4

Oui, vraiment, nous avons aimé passer cette semaine si différente de la Mongolie, dans toute l'agitation et toutes les contradictions de Pékin. On ne va pas dire qu'on aime ça, attendre. On ne va pas dire qu'on aime ça, transpirer dès lors qu'on fait un pas alors qu'on n'a pas vu le soleil de la semaine. Mais en fait, on a bien aimé Pékin, parce que même si il faut attendre beaucoup et affronter la foule dans le chaud, il y a ce petit quelque chose de grisant, un peu comme le ciel ici, à être dans cette immense ville qui bouge dans tous les sens et presqu'à toute heure. Et en une semaine, on a quand même fait (et manger) beaucoup de choses qui ne nous ont jamais ennuyées. Au contraire.  

 

NOTA

Ce qu'il y aurait de pratique si l'on voulait faire des suites à cet article à la manière des suites au cinéma, c'est que l'on pourrait remplacer la ville de Pékin par toutes les autres grandes villes que nous avons faites (à l'exception de Kashgar) devant la récurrence "la folie du grand nombre". Néanmoins, sans doute aidée par son statut de capitale et malgré ses hutongs, Pékin reste au-dessus du lot. L'effet de masse y est ici décuplé par une plus grande urgence, une plus grande lutte pour faire sa place, et une régularité incontestable. Nous avons donc choisi d'aborder le sujet (quitte à faire de longues descriptions) dès ce premier article totalement consacré à la Chine, mais il faudra garder à l'esprit l'ambiance du grand nombre lors de vos prochaines lectures, sauf mention contraire.  

* Pompé de Palais (Guillaume Apollinaire, Alcools), et librement adapté à la sauce chinoise.

 

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Commentaires
M
Après des semaines à errer sur le web à la recherche d'infos pour mon très prochain séjour en Chine, j'ai découvert votre blog... Je souhaitais vous remercier de cette oasis d'intelligence et de poésie au milieu d'une multitude de témoignages qui semblent être des copié-collé de brochures touristiques mal traduites.<br /> <br /> Voilà une bonne matière pour me détourner un peu de ces fameux "monuments"... C'est décidé je passerai 7 jours à pékin !<br /> <br /> Encore bravo pour votre esprit, votre humour et votre belle écriture...
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