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Moscou - Pékin - Istanbul : 8 pays, 25.000 km à travers l'Asie
9 août 2016

Oulan Bator, une île à l'assaut des montagnes

Attention, ce texte introductif n'a rien à voir avec le reste de l'article, remue le couteau dans la plaie, et comporte des propos à chaud donc au troisième degré.

Il est six heures trente du matin ou dans les environs, on ne sait plus vraiment car on n'a plus dormi depuis 24 heures, mais il fait déjà clair depuis au moins une heure. Les tables sont collantes, les bières chaudes comme les esprits. Le coup de sifflet final de la deuxième mi-temps de la prolongation de la finale de l'EURO 2016, opposant une petite équipe de France à une petite équipe du Portugal, résonne dans le Stade de France ainsi que sur les tôles d'un biergarten couvert et bourré à craquer, donnant sur la place Gengis Khan. Une explosion de joie a lieu, comme si la Mongolie avait gagné la Coupe du Monde. Le Portugal a gagné. La France a été sifflée et huée toute la partie, et ce dès les hymnes ! Qu'on me le dise : y'a-t-il des liens particuliers entre la Mongolie et le Portugal, pour que les lusitaniens profitent d'un tel traitement de faveur ? Accord de libre échange portant sur les pastéis de nata et les Khuushuur ? Incertain, ces deux produits sont périssables. Alors quoi ? Une importante diaspora lisboète est-elle venue carreler gratis les yourtes du Khovsgol ? Paraît invraisemblable, on met des toiles cirées dans les yourtes. Des éleveurs de chameaux du Gobi ont-ils prêté main forte aux troupes d'Alphonse III passant par les collines lors de la Reconquista de Braga ? Peu probable, avec ce climat pluvieux les chameaux auraient eu des bosses trop importantes pour qu'on leur pose encore des chargements dessus. Y'a-t-il eu un développement de route maritime entre les deux pays ? Cela paraît difficile. Les mongols pensent-ils que Marco Polo, ayant tout jeune assisté aux négociations de monopole commercial avec la Chine sous contrôle du petit-fils de leur idole Gengis Khan, puis ayant ensuite résidé dans sa cour était portugais ? Non messieurs, pas non plus. Alors quoi bon sang ? Et puis, de notre côté, a-t-on persécuté le peuple mongol ? Y'a-t-on fait sauvagement des essais nucléaires ? La France a-t-elle soutenu les positions chinoises lors de la reprise de la Mongolie intérieure par les mongols ? Décrié le protectorat russe puis soviétique ? Y'a-t-il une pilule qui est restée en travers ? Sur un autre registre, plus actuel : peut-on également me dire combien de touristes portugais visitent chaque année la Mongolie ? Quelle est la part de ce qu'ils rapportent par rapport aux français ? Ah ! N'aurions nous pas pu récolter au prorata les applaudissements ou les hourras ? Ou juste le respect de ne pas voir notre hymne sifflé et nos joueurs hués à quelques mètres seulement de notre ambassade ? Peut-on d'ailleurs me dire où est l'ambassade du Portugal en Mongolie ? Peut-on me dire enfin pourquoi les mongols n'aiment pas nos joueurs ? A moins que... mais oui, j'y suis. C'est à cause de cet homme à la ceinture abdominale toujours contractée qui fait régulièrement la une des journaux en slip. C'est donc ça... Cristiano Ronaldo leur a envoyé des cartons de slip de sa nouvelle collection pour les écoles de lutte. Et depuis ils sont dingues de ce mec. En tout cas il a suffi qu'un guignol un peu plus grande gueule que les autres, quelques minutes avant le match, se lance à crier Portugal, Portugal avec un accent nous laissant penser qu'un nouveau pays européen avait vu le jour depuis notre départ, pour que le reste du troupeau, Mongolie oblige, se mette à suivre. Bande de chèvres ! Et je peux le dire en ces mots, après l'atroce soirée passée en tant que Français dans ce complexe survolté, hostile et insultant, où l'alcool faisait sombrer à quelques tables les esprits ou valdinguer les chaises.

Fin de l'introduction. Reprenez votre calme et baissez vos drapeaux.

Nous avions redébarqué à Oulan Bator quelques heures avant ce foutu match, après un long trajet nous ayant fait refendre la steppe pendant neuf heures. À la descente du bus, notre arrivée à la ville aurait bien pu nous ramener directement à la campagne steppique, aux yourtes isolées et pratiques festives lactées. Des bidons d'aïrag (rappelez-vous le lait de jument fermenté) positionnés dans la soute juste à côté de nos sacs avaient explosés par percement latéral sous la pression de la fermentation. Nous l'avons échappé belle à quelques centimètres près, et nous avons pu revenir en ville sans en rajouter sur notre état et notre odeur, sans les litrons de khumis passés juste à côté.

Nous reprenons de nouveaux quartiers en plein centre d'Oulan-Bator. Nous trouvons une auberge-appartement vide, ce qui en cette veille de Naadam, période de pointe chez les touristes, est inespéré. Le Naadam c'est donc une période de fête dans tous le pays. La capitale se vide pourtant de tous ceux qui en profitent pour rentrer dans leurs familles. Ici, les festivités restent fortement cantonnées aux abords du stade où se déroulent les épreuves de lutte et de tir à l'arc, et à la ligne finale de la course de chevaux. Dans le centre, la place Gengis Khan, ayant gardé dans les habitudes des habitants son nom de Sükhbaatar, une scène va dérouler pendant quatre soirs des spectacles de danse et de musique retraçant l'histoire de la Mongolie, ainsi que tous les symboles de l'accueil dans une yourte. C'est un peu comme si sur le Champ de Mars on jouait un spectacle avec des gars avec un béret et une baguette sous le bras parce que c'est (que ?) ça la France. D'un autre côté, c'est un peu le genre de truc proposé dans une bonne cérémonie d'ouverture olympique. Peut-être s'y préparent-ils ? Un feu d'artifice y sera également tiré au milieu de la foule et de la circulation le 11 au soir, histoire de dire que l'on n'a pas peur en Mongolie, mais ce qui fait perdre des points dans le volet Sécurité du dossier remis au CIO.

MPI_Article Oulan Bator_Image 1a_Danse sur Sukhbaatar

MPI_Article Oulan Bator_Image 1b_Danse sur Sukhbaatar

MPI_Article Oulan Bator_Image 1c_Danse sur Sukhbaatar

Du Naadam nous n'en verrons que les spectacles de la place Gengis Khan, les billets pour les épreuves officielles sont sold out et chers au marché noir. Nous en percevrons aussi l'ambiance de ville désertée. Les commerces et restaurants travaillent en horaires restreints ou sont fermés pour quatre jours. Nous vivrons donc au ralenti nous aussi le temps d'attendre notre train du vendredi, soit cinq jours à tuer.

Nous nous occuperons chaque jour un petit peu, marcherons jusque sur les contreforts des montagnes bordant la ville, visiterons un monastère un peu moche, passerons dix fois devant le State Department Store, longerons quinze fois Peace Avenue et procéderons à quelques opérations de logistique et de vie courante qu'il est indispensable de mener dans ces voyages au long cours. Le repos est également important et nécessaire. Il est impossible de tenir pendant quatre mois et demi le rythme d'un circuit de 14 jours / 13 nuits au départ de Roissy. Il y a un besoin de reprendre domicile, au moins pour quelques jours, aller faire ses courses au supermarché du coin, circuler sans plans dans la partie de la ville que nous avons mémorisée, retrouver son restaurant de quartier, ne pas tout visiter, comme un parisien trentenaire qui n'a jamais pris le temps de monter la Tour Eiffel avant de déménager en province.

MPI_Article Oulan Bator_Image 2_Place Genghis Khan

MPI_Article Oulan Bator_Image 3_En face à face

MPI_Article Oulan Bator_Image 4_Monastère austère

MPI_Article Oulan Bator_Image 5_Sutras

MPI_Article Oulan Bator_Image 7_State Department Store

Oulan-Bator est aussi pour nous une manière de se réhabituer à la ville et son confort. C'est une ville moderne, globalement. En tout cas elle semble tenir la route. En son centre, les mongols qui n'ont pas de problème d'argent le montrent (en restaurant, en voiture, en onguents, en frimant). Il y a un tel décalage entre Oulan-Bator et le reste du pays qu'on a l'impression que la capitale est une île à la Taïwan, et le reste du pays un océan, les capitales d'aïmag étant de petits îlots rocheux abritant de petites colonies de fous de Bassan, et les yourtes quelques naufragés sur des radeaux ronds et blancs dérivant au gré des saisons.

MPI_Article Oulan Bator_Image 8_Ulaan Baatar

MPI_Article Oulan Bator_Image 9_Ulaan Baatar 2

En chiffres, Oulan-Bator c'est 42% de la population du pays. Et la densité du pays, la plus faible au monde déjà comme ça sans rien faire avec 1,7 habitant au km², passe à 1,0 habitant tout pile au km² dès lors que l'on ne se concentre que sur l'océan qui fait le reste du pays. Ce dernier, alors qu'il représenterait le 19e pays au monde en superficie, serait le 151e en population. Derrière lui et sur ce plan, il n'y aurait grosso modo que les îles des Caraïbes, de Micronésie, l'Islande, le Bouthan, le Monténégro suite à son indépendance de la Serbie, quelques paradis fiscaux ou territoires à la fiscalité avantageuse et le Vatican qui seraient moins peuplés. C'est dire le vide océanique qui compose le reste de la Mongolie, par rapport à sa capitale, dressée là au milieu, et qui comme une île volcanique ne cesse de grandir au rythme de ses éruptions. La seule différence réside dans le fait que les éruptions sont extérieures. Les coulées de laves sont les campagnes qui se vident. Oulan-Bator doit trouver de la place. Elle s'est déjà étendue sur de longs kilomètres entre deux barrières de montagnes basses, mais doit désormais attaquer les versants, et attaquer le ciel. Les gratte-ciels y poussent plus vite qu'à Paris, les chantiers sont nombreux. Les grues tournent parfois au-dessus de camps de yourtes faisant résistance pour encore quelques temps.

MPI_Article Oulan Bator_Image 10_La montagne, UB la gagne

MPI_Article Oulan Bator_Image 11_Building vs yourte

Oulan-Bator finira peut-être un jour par récupérer tous les naufragés et peut-être même quelques fous de Bassan. C'est ce que la tendance laisse penser. Elle les accueillera comme elle peut. Ils seront peut-être installés de l'autre côté des montagnes, ou qui sait peut-être plus hauts qu'elles. Il vient toujours dans un voyage la question du comment sera l'endroit dans cinq, dix ou vingt ans. Lorsqu'on se la pose pour Oulan-Bator, on se la pose forcément pour toutes les autres régions de Mongolie. Mais pour nous, même si nous revenions dans dix ans dans le pays, certainement pour faire bien autre chose et pas de la même façon, nous ne nous en apercevrions pas forcément. Premièrement car Oulan-Bator serait alors tellement étendue que n'ayant pas vraiment vu ses frontières aujourd'hui, nous ne saurions pas faire la différence. Et deuxièmement parce qu'il paraît improbable que la campagne se vide définitivement de toutes ses yourtes, et que nous serions incapables de faire la différence entre deux cent ou quatre cent, disséminées suivant le vent, aujourd'hui habitées et demain réservées aux voyageurs voulant revivre une époque passée. Mais nous ne chercherions pas à recenser les sept erreurs.

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